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Cette écrite a été publiée dans Vérité historique ou vérité politique?, édité par Serge Thion, Paris, La Vieille Taupe, 1980, p. 213-285. |
par Robert Faurisson 30 août 19781. «Le Journal d’Anne Frank est-il authentique?» Depuis deux ans cette question est inscrite au programme officiel de mon séminaire de «Critique de textes et documents». (Ce séminaire est réservé à des étudiants de quatrième année, déjà pourvus d’une licence.) 2. «Le Journal d’Anne Frank est une supercherie.» Telle est la conclusion de nos études et de nos recherches. Tel est le titre du livre que je publierai. 3. Pour étudier la question posée et lui trouver une réponse, j’ai procédé aux investigations suivantes:
4. Critique interne: le texte même du Journal (texte hollandais) recèle une quantité inexplicable de faits invraisemblables ou inconcevables. 5. Prenons l’exemple des bruits. Les clandestins, nous dit-on, ne doivent pas faire le moindre bruit. C’est au point que, s’ils toussent, ils prennent vite de la codéine. Les «ennemis» pourraient les entendre. Les murs sont tellement «minces» (25 mars 43). Ces «ennemis» sont très nombreux: Lewin qui connaît l’immeuble «comme sa poche» (1er octobre 42) les hommes du magasin, les clients, les livreurs, le facteur, la femme de ménage, le gardien de nuit Slagter, les plombiers, le «service d’hygiène», le comptable, la police qui multiplie les perquisitions, les voisins proches ou éloignés, le propriétaire, etc. Il est donc invraisemblable et même inconcevable que Mme Van Daan ait pour habitude de passer l’aspirateur chaque jour à 12 h 30 (5 août 43). Les aspirateurs de l’époque étaient, de plus, particulièrement bruyants. Je demande: «Comment cela est-il concevable?» Ma question n’est pas de pure forme. Elle n’est pas oratoire. Elle n’a pas pour but de manifester un étonnement. Ma question est une question. Il faut y répondre. Cette question pourrait être suivie de quarante autres questions concernant les bruits. Il faut expliquer, par exemple, l’usage d’un réveille-matin (4 août 43). Il faut expliquer de bruyants travaux de menuiserie: suppression de marches de bois, transformation d’une porte en armoire tournante (21 août 42), fabrication d’un lustre en bois (7 décembre 42). Peter fend du bois au grenier devant la fenêtre ouverte (23 février 44). Il est question de fabriquer avec le bois du grenier «des étagères et autres charmantes bricoles» (11 juillet 42). Il est même question de construire au grenier... «un cagibi» pour y travailler (13 juillet 43). Il y a le bruit presque constant de la radio, des portes claquées, des «éclats de rire interminables» (6 décembre 1943), les disputes, les cris, les hurlements, un «fracas de jugement dernier» (9 novembre 42), «Un vacarme s’ensuivit [...]. J’étais pliée en deux de rire» (10 mai 44). L’épisode rapporté le 2 septembre 1942 est inconciliable avec la nécessité d’être silencieux et discret. On y voit les clandestins à table. Ils bavardent et rient. Tout à coup un sifflement perçant se fait entendre. Et on entend la voix de Peter qui crie, par le tuyau du poêle, qu’il ne descendra certainement pas. M. Van Daan se lève, sa serviette tombe et, le visage en feu, il crie: «C’en est assez.» Il monte au grenier et là, coups et frappements de pieds. L’épisode rapporté le 10 décembre 1942 est du même genre. On y voit Mme Van Daan soignée par le dentiste Dussel. Celui-ci lui touche, de son crochet, une dent malade. Mme Van Daan lance alors «des sons invraisemblables». Elle essaye d’arracher le petit crochet. Le dentiste regarde la scène, les mains sur les hanches. Les autres spectateurs sont tous pris de «fou rire». Anne, au lieu de manifester la moindre angoisse devant ces cris ou ce fou rire, déclare: «Ça, c’était vache, car je suis sûre que j’aurais crié encore bien plus fort qu’elle.» 6. Les remarques que je fais ici à propos des bruits, je pourrais les répéter à propos de toutes les réalités de la vie matérielle et morale. Le Journal présente même cette particularité que pas un domaine de la vie qui y est vécue n’échappe à la règle d’invraisemblance, d’incohérence, d’absurdité. Dès leur arrivée dans leur cachette, les Frank, pour cacher leur présence, installent des rideaux. Or, installer des rideaux à des fenêtres qui n’en possédaient pas jusqu’alors, n’est-ce pas le meilleur moyen de signaler son arrivée? N’est-ce pas le cas, en particulier, si ces rideaux sont faits de pièces «bigarrées» (11 juillet 42)? Pour ne pas trahir leur présence, les Frank brûlent leurs ordures. Mais, ce faisant, ils signalent leur présence par la fumée qui s’échappera du toit d’une demeure qui est censée être inhabitée ! Ils font du feu pour la première fois le 30 octobre 1942 (lettre du 29: «Demain»), alors qu’ils sont arrivés dans les lieux le 6 juillet. On se demande ce qu’ils ont pu faire des ordures de 116 jours d’été. Je rappelle, d’autre part, que les apports de nourriture sont énormes. En régime normal, les clandestins et leurs hôtes consomment chaque jour huit petits déjeuners, huit à douze déjeuners et huit dîners. En neuf passages du livre, on fait allusion à une nourriture mauvaise, médiocre ou insuffisante. Ailleurs, la nourriture est abondante et «délicieuse». Les Van Daan «dévorent» et Dussel «absorbe des quantités énormes» de nourriture (9 août 43). On fabrique sur place des saucisses et des saucissons, des conserves de fraises et des confitures en bocaux. Eau-de-vie ou alcool, cognac, vins et cigarettes ne semblent pas non plus manquer. Le café est si peu rare qu’on ne comprend pas que l’auteur, énumérant (23 juillet 43) ce que chacun voudra faire le jour où il pourra quitter la cachette, dise que le vœu le plus cher de Mme Frank sera d’avoir une tasse de café. Voici, d’autre part, en février 1944 – le terrible hiver 1943-1944 – l’inventaire des réserves disponibles pour les seuls clandestins, à l’exclusion de tout cohabitant ami ou «ennemi»: 30 kg de blé, à peu près 30 kg de haricots et dix livres de pois, cinquante boîtes de légumes, dix boîtes de poisson, quarante boîtes de lait, 10 kg de lait en poudre, trois bouteilles d’huile, quatre bocaux de beurre salé, quatre idem de viande, deux bouteilles de fraises, deux bouteilles de framboises à la groseille, vingt bouteilles de tomates, dix livres de flocons d’avoine, huit livres de riz. Il entre, à d’autres moments, des sacs de légumes pesant chacun vingt-cinq kilos, ou encore un sac de dix-neuf livres de petits pois frais (8 juillet 44). Les livraisons sont faites par le «gentil marchand de légumes». Et cela «toujours à l’heure du déjeuner» (11 avril 44). C’est invraisemblable. Comment, dans une ville par ailleurs décrite comme affamée, un marchand de légumes peut-il, en plein jour, quitter sa boutique avec de pareils chargements pour aller les déposer dans un immeuble situé dans un quartier animé? Comment ce marchand pouvait-il éviter, dans son propre quartier (il était «du coin»), la rencontre de ses clients normaux pour qui, en ces temps de disette, il devait normalement être un personnage qu’on recherche et qu’on sollicite? Il y a bien d’autres mystères à propos des autres marchandises et de la manière dont elles parviennent dans la cachette. Pour les fêtes et les anniversaires des clandestins, les cadeaux abondent: œillets, pivoines, narcisses, jacinthes, pots de fleurs, gâteaux, livres, sucreries, briquet, bijoux, nécessaire à raser, jeu de roulette, etc. Je signalerais à ce propos une véritable prouesse réalisée par Elli. Celle-ci trouve le moyen d’offrir des raisins le 23 juillet 1943. Je dis bien: des raisins, à Amsterdam, un 23 juillet. On nous en indique même le prix: cinq florins le kg. 7. L’invention de la «porte-armoire» est une absurdité. En effet, la partie de l’immeuble qui est censée abriter les clandestins existait bien avant leur arrivée. Donc installer une armoire, c’est signaler sinon une présence, du moins un changement dans cette partie de l’immeuble. Cette transformation des lieux – accompagnée du bruit des travaux de menuiserie – ne pouvait échapper aux «ennemis» et, en particulier, à la femme de ménage. Et ce prétendu «subterfuge», destiné à égarer la police en cas de perquisition, est bien propre, au contraire, à lui donner l’éveil. («Il y a beaucoup de perquisitions à cause des vélos cachés», dit Anne le 21 août 1942, et c’est pour cette raison que la porte d’entrée de la cachette a été ainsi dissimulée.) La police, ne trouvant pas de porte d’accès au bâtiment qui sert de cachette, s’étonnerait de cette étrangeté et découvrirait vite qu’on a voulu la tromper, puisqu’elle se trouverait devant un bâtiment d’habitation sans accès ! 8. Invraisemblances, incohérences, absurdités fourmillent également à propos des points suivants: les fenêtres (ouvertes et fermées), l’électricité (allumée et éteinte), le charbon (prélevé sur le tas commun sans que les «ennemis» s’en rendent compte), les ouvertures et fermetures de rideaux ou camouflages, l’usage de l’eau et des cabinets, les moyens de faire la cuisine, les mouvements des chats, les déplacements de l’avant-maison vers l’arrière-maison (et vice-versa), le comportement du gardien de nuit, etc. La longue lettre du 11 avril 1944 est particulièrement absurde. Elle rapporte une affaire de cambriolage. Soit dit en passant, la police nous y est montrée s’arrêtant devant la «porte-armoire», en pleine nuit, sous la lumière électrique, à la recherche des cambrioleurs qui se sont livrés à une effraction. Elle donne des secousses à la «porte-armoire». Ces policiers, accompagnés du gardien de nuit, ne s’aperçoivent de rien et ne cherchent pas à pénétrer dans l’arrière-maison ! Comme dit Anne: «Dieu doit nous avoir particulièrement protégés !» 9. Le 27 février 1943, on nous dit que le nouveau propriétaire n’a heureusement pas insisté pour visiter l’arrière-maison. Koophuis lui a dit qu’il n’avait pas la clé sur lui et ce nouveau propriétaire, pourtant accompagné d’un architecte, n’a pas examiné sa nouvelle acquisition ni ce jour-là, ni un autre jour. 10. Quand on a toute une année pour se choisir une cachette (voy. 5 juillet 42), choisit-on son bureau? Y amène-t-on sa famille? Et un collègue? Et la famille de ce collègue? Choisit-on ainsi un endroit plein d’ «ennemis» et où la police et les Allemands viendront automatiquement vous chercher s’ils ne vous trouvent plus à votre domicile? Ces Allemands, il est vrai, ne sont guère curieux. Le 5 juillet 1942 (un dimanche), le père Frank (à moins que ce ne soit Margot?!) a reçu une «convocation» des SS (voy. la lettre du 8 juillet 1942). Cette «convocation» n’aura pas de suite. Margot, recherchée par les SS, se rend vers la cachette à bicyclette, et cela le 6 juillet, alors que, d’après la première des deux lettres du 20 juin, les juifs se sont vu confisquer leurs bicyclettes depuis un certain temps. 11. Pour contester l’authenticité du Journal, on pourrait invoquer des arguments d’ordre psychologique, littéraire et historique. Je m’en abstiendrai ici. Je ferai simplement remarquer que les absurdités matérielles sont si graves et si nombreuses qu’elles ont une répercussion d’ordre psychologique, littéraire et historique. 12. Il ne faudrait pas attribuer à l’imagination de l’auteur ou à la richesse de sa personnalité des choses qui sont, en réalité, inconcevables. Est inconcevable «ce dont l’esprit ne peut se former aucune représentation parce que les termes qui le désignent enveloppent une impossibilité ou une contradiction, par exemple: un rond carré». Celui qui dit qu’il a vu un rond carré, dix ronds carrés, cent ronds carrés, ne témoigne ni d’une imagination fertile, ni d’une riche personnalité. Car, en fait, ce qu’il dit et rien sont exactement la même chose. Il fait la preuve de sa pauvreté d’imagination. C’est tout. Les absurdités du Journal sont celles d’une pauvre imagination qui se développe en dehors d’une expérience vécue. Elles sont dignes d’un mauvais roman ou d’un pauvre mensonge. Toute personnalité un tant soit peu riche renferme ce qu’il est convenu d’appeler des contradictions psychologiques, morales ou mentales. Je m’abstiendrai de démontrer ici que la personnalité d’Anne ne renferme rien de tel. Sa personnalité est fabriquée et invraisemblable tout comme l’expérience que le Journal est censé relater. D’un point de vue historique, je ne serais pas étonné qu’une étude des journaux hollandais, de la radio anglaise et de la radio hollandaise de juin 1942 à août 1944 ne nous prouve une supercherie de la part de l’auteur réel du journal. Le 9 octobre 1942, Anne parle déjà de «chambre à gaz» (texte hollandais: «vergassing») ! Chapitre II
13. Étude des lieux à Amsterdam: d’une part, les impossibilités matérielles et, d’autre part, les explications forgées par le père d’Anne Frank compromettent gravement ce dernier. 14. Quiconque vient de lire le Journal ne peut normalement que recevoir un choc en découvrant la «Maison Anne Frank». Il découvre une «maison de verre» qui est visible et observable de toutes parts et accessible de ses quatre côtés. Il découvre aussi que le plan de la maison, tel qu’il est reproduit dans le livre par les soins d’Otto Frank, constitue un maquillage de la réalité. Otto Frank s’était bien gardé de dessiner le rez-de-chaussée et il s’était bien gardé de nous dire que la courette de séparation entre l’avant-maison et l’arrière-maison n’avait que trois mètres soixante-dix de largeur. Il s’était surtout bien gardé de nous signaler que cette même courette est commune à la «Maison Anne Frank» (263, Prinsengracht) et à la maison située à droite quand on regarde la façade (265, Prinsengracht). Grâce à toute une série de fenêtres et de portes-fenêtres, les gens du 263 et ceux du 265 vivaient et se déplaçaient sous les yeux et sous le nez (odeurs de cuisine !) de leurs voisins respectifs. Les deux maisons n’en font qu’une. D’ailleurs, le musée regroupe aujourd’hui les deux immeubles. De plus, l’arrière-maison avait son propre accès grâce à une porte donnant, par derrière, sur un jardin. Ce jardin est commun au 263 Prinsengracht et aux gens d’en face, habitant au 190 Keizersgracht. (Quand on est dans le musée, on voit fort distinctement ces gens du 190 et, d’ailleurs, de bien d’autres numéros de Keizersgracht.) De ce côté (côté jardin) et de l’autre côté (côté canal), j’ai dénombré deux cents fenêtres d’immeubles anciens par lesquelles ont avait vue sur la «Maison Anne Frank». Même les habitants du 261 Prinsengracht pouvaient avoir accès, par les toits, au 263. C’est une dérision que de laisser croire la moindre possibilité d’une vie réellement clandestine en ces lieux. Je dis cela en tenant compte, bien entendu, des transformations apportées aux lieux depuis la guerre. A dix visiteurs successifs, j’ai demandé, en montrant la vue sur le jardin, comment Anne Frank avait pu vivre ici cachée avec les siens pendant vingt-cinq mois. Après un moment de surprise (car les visiteurs de musée vivent généralement dans une sorte d’état d’hypnose), chacun des dix visiteurs successifs s’est rendu compte, en quelques secondes, de cette totale impossibilité. Les réactions ont été variables: chez les uns, consternation; chez d’autres, éclat de rire («My God !»). Un visiteur, sans doute froissé, m’a dit: «Ne pensez-vous pas qu’il vaut mieux laisser les gens à leurs rêves?» Personne n’a soutenu la thèse du Journal, et cela malgré quelques pitoyables explications fournies par les prospectus ou par les inscriptions du musée. 15. Les explications sont les suivantes: 1° Les «ennemis» se
trouvant dans une des pièces de l’avant-maison
croyaient que les fenêtres qui donnaient sur la courette
donnaient directement sur le jardin; ils ignoraient ainsi
l’existence même d’une arrière-maison; et,
s’ils ignoraient cela, c’est que les fenêtres
étaient occultées de papier noir, pour assurer la
conservation des épices entreposées;
2° Les Allemands, quant à eux, n’auraient jamais pensé à l’existence d’une arrière-maison «vu qu’ils ne connaissent pas ce genre de maison»; 3° La fumée du poêle «n’attirait pas l’attention vu que dans le temps cette pièce (où il se trouvait) servait de laboratoire à la petite usine, où un poêle devait également brûler tous les jours». Les deux premières de ces trois explications proviennent d’une publication de trente-six pages, sans titre et sans date, imprimée par Koersen, Amsterdam. La dernière vient du prospectus de quatre pages, disponible à l’entrée du musée. Le contenu de ces deux imprimés a reçu l’aval de M. Otto Frank. Or, dans les trois cas, ces explications n’ont pas la moindre valeur. L’arrière-maison était visible et palpable de cent façons par le rez-de-chaussée (interdit à la visite), par le jardin, par des couloirs de communication sur quatre niveaux, par les deux fenêtres du bureau sur cour, par les immeubles voisins. Certains des «ennemis» devaient même s’y rendre pour satisfaire leurs besoins naturels puisqu’il n’y avait rien pour cela dans l’avant-maison. Le rez-de-chaussée de la maison du fond recevait même des clients de la firme. Quant à la «petite usine» qui aurait existé «dans le temps», en plein cœur de ce quartier résidentiel et commerçant, elle serait restée au moins deux ans sans cracher de fumée, puis, soudain, le 30 octobre 1942, elle se serait remise à cracher de la fumée. Et quelle fumée ! Jour et nuit ! Hiver comme été, canicule ou pas. A la vue de tous (et, en particulier, d’ «ennemis» comme Lewin qui avait là autrefois son laboratoire de chimiste), la «petite usine» se serait remise en marche ! Mais pourquoi M. Frank s’est-il ingénié à trouver cette explication, vu que, par ailleurs, l’arrière-maison est déjà décrite comme une sorte de maison fantôme? 16. En conclusion de ce point, je dirais que, si je ne me trompe en refusant toute valeur à ces «explications», nous avons le droit d’affirmer: 1° que des faits très
graves pour M. Otto Frank restent sans explication;
2° que M. Otto Frank est capable d’affabulations et même d’affabulations grossières et médiocres, comme celles précisément que j’ai signalées dans ma lecture critique du Journal. Je demande à mon lecteur de retenir cette conclusion. Il verra plus loin quelle réponse m’a personnellement faite M. Otto Frank, en présence de sa femme. 17. Pour la documentation photographique concernant la «Maison Anne Frank», voyez la pièce intitulée: annexe n° 1. Chapitre III
18. Audition du principal témoin: M. Otto Frank. Cette audition s’est révélée accablante pour le père d’Anne Frank. 19. J’avais fais savoir à M. Frank que je préparais avec mes étudiants une étude sur le Journal. Je lui avais précisé que ma spécialité était la «critique de textes et documents» et que j’avais besoin d’un entretien prolongé. Cet entretien, M. Otto Frank me l’a accordé avec empressement et c’est ainsi que j’ai été reçu à son domicile de Birsfelden, banlieue de Bâle, d’abord le 24 mars 1977, de 10 h à 13 h, puis de 15 h à 18 h et, enfin, le lendemain, de 9 h 30 à 12 h 30. En vérité, le lendemain, rendez-vous avait été fixé dans une banque de Bâle. M. Frank tenait à retirer d’un coffre, en ma présence, ce qu’il appelait les manuscrits de sa fille. Notre entretien s’est donc poursuivi ce jour-là en partie à la banque, en partie sur le chemin du retour vers Birsfelden et, en partie, à nouveau, au domicile de M. Frank. Tous les entretiens qui ont eu lieu à son domicile se sont déroulés en présence de sa femme (sa seconde femme, puisque la première est morte en déportation, du typhus semble-t-il, ainsi que Margot, ainsi qu’Anne). Dès la première minute de notre entretien, j’ai déclaré de but en blanc à M. et Mme Frank que j’avais des doutes sur l’authenticité du Journal. M. Frank n’en a marqué aucune surprise. Il s’est déclaré prêt à me fournir tous les renseignements que je désirerais. J’ai été frappé, durant ces deux journées, par l’extrême amabilité de M. Frank. Malgré son âge – quatre-vingt-huit ans – il n’a jamais pris prétexte de sa fatigue pour écourter notre entretien. Dans le Journal, il est décrit comme un homme plein de charme (voy. 2 mars 44). Il inspire confiance. Il sait aller au devant de désirs inexprimés. Il s’adapte remarquablement aux situations. Il adopte volontiers une argumentation à base de sentiments. Il parle beaucoup de tolérance et de compréhension. Je ne l’ai vu qu’une seule fois perdre tout sang-froid et se montrer même intransigeant et violent: c’est à propos de la cause sioniste, qui doit lui paraître sacrée. C’est ainsi qu’il m’a déclaré qu’il ne mettrait plus jamais les pieds sur le sol de France, puisque, à son avis, la France ne s’intéresse plus qu’au pétrole arabe et se moque d’Israël. Sur trois points seulement M. Frank allait manquer à sa promesse de répondre à mes questions. Il est intéressant de savoir que ces trois points sont les suivants: 1° adresse d’Elli, en
Hollande;
2° moyens de retrouver la trace de l’employé de magasin appelé V. M. dans le livre (et dont je savais qu’il s’appelait probablement Van Maaren); 3° moyens de retrouver l’Autrichien Karl Silberbauer qui avait arrêté les clandestins, le 4 août 1944. 20. Pour ce qui est d’Elli, M. Frank me déclarait qu’elle était très malade et que, «peu intelligente», elle ne pouvait m’être d’aucun secours. Quant aux deux autres témoins, ils avaient eu assez d’ennuis comme cela, sans que j’aille les importuner par des questions qui leur rappelleraient un passé douloureux. En revanche, M. Frank me recommandait de me mettre en rapport avec Kraler (de son vrai nom: Kugler), établi au Canada, et avec Miep et son mari, demeurant toujours à Amsterdam. 21. En ce qui concerne le Journal lui-même, M. Frank me déclarait que le fond en était authentique. Les événements relatés étaient véridiques. C’était Anne, et Anne seule, qui avait écrit les manuscrits de ce Journal. Comme tout auteur littéraire, Anne avait peut-être des tendances, soit à l’exagération, soit à la transformation imaginative, mais tout cela dans des limites courantes et acceptables, sans que la vérité des faits eût à en souffrir. Les manuscrits d’Anne formaient un ensemble important. Ce que M. Frank avait présenté aux éditeurs, ce n’était pas le texte de ces manuscrits, le texte purement original, mais un texte qu’il avait, en personne, tapé à la machine: un «tapuscrit». Il avait été obligé de transformer ainsi les divers manuscrits en un seul «tapuscrit» pour différentes raisons. D’abord, les manuscrits présentaient des redites. Ensuite, ils contenaient des indiscrétions. Puis, il y avait des passages sans intérêt. Enfin, il y avait... des omissions ! M. Frank, devant ma surprise, me donnait l’exemple suivant (un exemple sans doute anodin, mais n’y en avait-il pas de plus graves, qu’il me cachait?): Anne aimait beaucoup ses oncles; or, dans son Journal, elle avait omis de les citer parmi les personnes qu’elle chérissait; alors, M. Frank avait réparé cette «omission» en citant les oncles dans le «tapuscrit». M. Frank me disait qu’il avait changé des dates ! Il avait également changé les noms des personnages. C’était Anne elle-même, paraît-il, qui avait pensé sans doute à ces changements de noms. Elle avait envisagé l’éventualité d’une publication. M. Frank avait retrouvé, sur un bout de papier, la liste des vrais noms avec leurs équivalents de faux noms. Anne aurait même imaginé d’appeler les Frank du nom de Robin. M. Frank avait retranché des manuscrits certaines indications du prix des choses. Mieux: se trouvant du moins pour certaines périodes, devant deux états différents du texte, il lui avait fallu «combiner» (le mot est de lui) deux textes en un seul texte. Résumant toutes ces transformations, M. Frank me déclarait finalement: «C’était une tâche difficile. J’ai fait cette tâche selon ma conscience.» 22. Les manuscrits que M. Frank m’a présentés comme étant ceux de sa fille forment un ensemble impressionnant. Je n’ai pas eu le temps de les regarder de près. Je me suis fié à la description qui m’en a été faite et que je résumerais de la façon suivante: – la première date est
celle du 12 juin 1942; la dernière est celle du 1er
août 1944 (trois jours avant l’arrestation);
– pour la période allant du 12 juin 1942 au 5 décembre de la même année (mais cette date ne correspond à aucune lettre imprimée), on dispose d’un petit cahier à couverture de toile, quadrillé rouge, blanc, brun («cahier écossais»); – pour la période allant du 6 décembre 1942 au 21 décembre 1943, on ne possède pas de cahier particulier (mais voyez, plus loin, les «feuillets volants»). Ce cahier aurait été perdu; – pour la période allant du 2 décembre 1943 au 17 avril 1944, puis pour celle allant de cette même date du 17 avril 1944 (!) à la dernière lettre (1er août 1944), deux cahiers noirs cartonnés, couverts de papier brun. 23. A ces trois cahiers et au cahier manquant s’ajoute: un ensemble de trois cent trente-huit «feuillets volants» pour la période allant du 20 juin 1942 au 29 mars 1944. M. Frank dit que ces feuillets constituent une reprise et un remaniement, par Anne elle-même, de lettres qui étaient contenues, sous une première forme, dans les cahiers susmentionnés: le «cahier écossais», le cahier manquant, le premier des deux cahiers noirs. 24. Le total, jusqu’à présent, de ce qu’Anne aurait écrit durant ses vingt-cinq mois de clandestinité est donc de cinq volumes. A ce total il convient d’ajouter le recueil des Contes. Ces Contes auraient été inventés par Anne. Le texte se présente comme une parfaite mise au net. Cette mise au net ne peut qu’impliquer au préalable un travail de rédaction au brouillon. Anne aurait donc noirci beaucoup de papier ! 25. Je n’ai pas compétence en matière de graphologie et je ne peux donc porter de jugement en la matière. Je peux seulement donner ici mes impressions. Mes impressions ont été que le «cahier écossais» contenait des photos, des images et des dessins ainsi qu’une variété d’écritures très enfantines, dont le désordre et la fantaisie paraissent authentiques. Il faudrait voir de près l’écriture des textes qui ont été prélevés par M. Frank pour constituer tout le début du Journal. Les autres cahiers et l’ensemble des trois cent trente-huit «feuillets volants» sont de ce que j’appellerais: une écriture d’adulte. Quant au manuscrit des Contes, il m’a vivement surpris. On dirait l’œuvre d’un comptable chevronné, et non pas le travail d’une enfant de quatorze ans. La table des matières se présente comme un répertoire des Contes avec, pour chaque pièce, sa date de rédaction, son titre, sa page de renvoi ! 26. M. Frank fait grand cas des conclusions de deux expertises réclamées vers 1960 par le procureur de Lübeck pour instruire l’affaire d’un enseignant (Lothar Stielau), qui, en 1959, avait émis des doutes sur l’authenticité du Journal [1]. M. Frank avait déposé une plainte contre cet enseignant. L’expertise graphologique avait été confiée à Mme Minna Becker. Mme Annemarie Hübner avait été chargée de dire si les textes imprimés en hollandais et en allemand étaient fidèles au texte des manuscrits. Les deux expertises, déposées en 1961, s’étaient révélées favorables à M. Frank. 27. Mais, en revanche, ce que M. Frank ne me révélait pas – et que je devais apprendre bien après ma visite et par une voie allemande – c’est que le procureur de Lübeck avait décidé une troisième expertise. Pourquoi une troisième expertise? Et sur quel point, étant donné que, selon toute apparence, tout le champ possible d’une enquête était exploré par la graphologue et par Mme Hübner? La réponse à ces questions est la suivante: le procureur s’était avisé de ce qu’une expertise du genre de celle de Mme Hübner risquait de donner raison, dans les faits, à Lothar Stielau. Au vu des premières analyses, il allait être impossible de déclarer que le Journal était «dokumentarisch echt». Peut-être pourrait-on le déclarer «literarisch echt» (!). Le romancier Friedrich Sieburg allait être chargé de répondre à cette curieuse question. 28. De ces trois expertises, seule m’aurait vraiment intéressé celle de Mme Hübner. Le 20 janvier 1978, une lettre de Mme Hübner me laissait espérer que j’obtiendrais une copie de son expertise. Peu de temps après, Mme Hübner ne répondant pas à mes lettres, je lui faisais téléphoner par un ami allemand. A ce dernier, elle faisait savoir que «l’affaire était délicate, étant donné qu’un procès sur la question du Journal était actuellement en cours à Francfort». Elle ajoutait qu’elle s’était mise en rapport avec M. Frank. D’après le peu d’éléments que je possède sur le contenu de ce rapport d’expertise, ce dernier ferait état d’une grande quantité de faits intéressants au point de vue de la comparaison des textes (manuscrits, «tapuscrit», texte hollandais, texte allemand). Mme Hübner y mentionnerait de très nombreuses «omissions» (Auslassungen), «additions» (Zusätze), «interpolations» (Interpolationen). Elle parlerait de texte «remanié» pour les nécessités d’une publication (überarbeitet). Elle irait, par ailleurs, jusqu’à nommer des personnes qui auraient apporté leur «collaboration» (Zusammenarbeit) à M. Frank dans sa rédaction du «tapuscrit». Ces personnes seraient Isa Cauvern et son mari Albert Cauvern. Mme Anneliese Schütz, pour sa part, aurait collaboré à l’établissement du texte allemand, au lieu de se contenter d’un rôle de traductrice. 29. En dépit de ces faits relevés par elle-même, Mme Hübner aurait conclu à l’authenticité du Journal (texte imprimé hollandais et texte imprimé allemand). Elle aurait donc porté le jugement suivant: «Ces faits ne sont pas graves». Ce jugement ne peut que lui être personnel. Là est toute l’affaire. Qui nous assure qu’un tout autre jugement ne pourrait être porté sur les faits signalés par l’experte? Et puis, pour commencer, l’experte a-t-elle fait preuve d’impartialité et d’esprit réellement scientifique en nommant les faits comme elle les a nommés? Ce qu’elle a nommé, par exemple, «interpolations» (mot d’apparence scientifique et de portée ambiguë), ne serait-il pas appelé par d’autres «retouches», «remaniements», «intercalations» (mots plus exacts sans doute, et plus précis)? De la même façon, des mots comme «additions» et, surtout, «omissions» sont neutres en apparence, mais, en réalité, ils recouvrent des réalités confuses: une «addition» ou une «omission» peuvent être honnêtes ou malhonnêtes; elles peuvent ne rien changer d’important à un texte ou bien, au contraire, l’altérer profondément. Dans le cas particulier qui nous intéresse ici, ces deux mots ont une apparence franchement bénigne ! 30. En tout cas il est impossible de tenir ces trois expertises (Becker, Hübner et Sieburg) pour probantes ou non, étant donné qu’elles n’ont pas été examinées par un tribunal. En effet, pour des raisons que j’ignore, M. Frank devait retirer sa plainte contre Lothar Stielau. Si mes renseignements sont exacts, ce dernier acceptait de verser 1.000 DM sur les 15.712 de frais de procédure engagés. Je suppose que M. Frank a versé au tribunal de Lübeck ces 1.000 DM et qu’il a ajouté à cette somme 14.712 DM pour sa propre part. Je crois me rappeler que M. Frank m’a dit que Lothar Stielau avait, de plus, accepté de lui présenter des excuses écrites. Lothar Stielau avait perdu son emploi d’enseignant par la même occasion. M. Frank ne m’a pas parlé du coaccusé de Lothar Stielau: Heinrich Buddeberg. Peut-être ce dernier a-t-il eu, lui aussi, 1.000 DM à verser et des excuses à présenter. 31. Je ne m’attarde ici à ces affaires d’expertises que parce que, lors de notre entrevue, M. Frank s’y était lui-même attardé, tout en ne mentionnant pas certains faits importants (par exemple, l’existence d’une troisième expertise), et tout en me présentant les deux expertises comme probantes. L’affaire des manuscrits ne m’intéressait pas non plus outre mesure. Je savais que je n’aurais pas le temps de les examiner de près. Ce qui m’intéressait au premier chef, c’était de savoir comment M. Frank m’expliquerait la «quantité inexplicable de faits invraisemblables ou inconcevables» que j’avais relevés dans la lecture du Journal. Après tout, que m’importait que des manuscrits, même déclarés authentiques par des experts, contiennent ce genre de faits, si ces faits ne peuvent avoir existé? Or, M. Frank devait se révéler incapable de me fournir la moindre explication. A mon avis, il s’attendait à voir contester l’authenticité du Journal par les arguments habituels d’ordre psychologique, littéraire ou historique. Il ne s’attendait pas à des arguments de critique interne portant sur des réalités de la vie matérielle: des réalités qui, comme on le sait, sont «têtues». Dans un moment de désarroi, M. Frank devait d’ailleurs me déclarer: «Mais... je n’ai jamais pensé à ces affaires matérielles !» 32. Avant d’en venir à des exemples précis de ce désarroi je dois à la vérité de dire qu’à deux reprises, M. Frank allait me donner une bonne réponse, et cela à propos de deux épisodes que je n’ai pas cités jusqu’ici, précisément parce qu’ils allaient trouver une explication. Le premier épisode m’était incompréhensible à cause d’une petite omission de la traduction française (je ne possédais pas, à l’époque, le texte hollandais). Le second épisode, lui, m’était incompréhensible à cause d’une erreur qui figure dans tous les textes imprimés du Journal. Là où, à la date du 8 juillet 1944, il est question du marchand de légumes, le manuscrit donne: «la marchande de légumes». Et c’est heureux, car un lecteur attentif du livre sait fort bien que le marchand de légumes en question n’a pas pu livrer aux clandestins «dix-neuf livres de petits pois frais» (!) le 8 juillet 1944 pour la bonne raison qu’il a été arrêté quarante-cinq jours auparavant par les Allemands pour un motif des plus graves (il avait deux juifs chez lui). Ce motif l’avait mis «au bord de l’abîme» (25 mai 1944). On concevait mal qu’un marchand de légumes sorte de «l’abîme» pour livrer ainsi à d’autres juifs une telle quantité de marchandise compromettante. A vrai dire, on ne le conçoit pas beaucoup mieux de l’épouse du malheureux, mais le fait est là, le texte du manuscrit n’est pas absurde comme celui des imprimés hollandais, français, allemand, anglais... La rédaction du manuscrit avait été plus soignée. Il reste que l’erreur des imprimés n’était peut-être pas une erreur, mais bel et bien une correction délibérée et malencontreuse, du manuscrit. On lit, en effet, dans l’imprimé hollandais: «[...] van der groenteboer om de hoek, 19 pond» [crie Margot]; et Anne répond: «Dat is aarding van hem.» Autrement dit, Margot et Anne emploient le masculin à deux reprises: «[...] du marchand de légumes du coin, 19 livres». Réponse d’Anne: «C’est gentil de lui.» Pour ma part, je tirerais deux autres conclusions de cet épisode: 1° La critique interne portant
sur la cohérence d’un texte permet de détecter
des anomalies qui se révèlent être de vraies
anomalies;
2° Un lecteur du Journal serait en droit, arrivé à la lecture de cet épisode du 8 juillet 1944, de déclarer absurde un livre où l’un des héros («le gentil marchand de légumes du coin») ressurgit du fond de l’abîme comme on ressuscite de la mort. 33. Ce marchand de légumes, m’a dit M. Frank, s’appelait Van der Hoeven. Déporté pour avoir hébergé des juifs chez lui, il revint de déportation. Lors de cérémonies commémoratives, il lui est arrivé de figurer aux côtés de M. Frank. J’ai demandé à M. Frank si, après la guerre, des gens du voisinage lui avaient déclaré: «Nous nous sommes doutés de la présence de clandestins au 263 Prinsengracht.» M. Frank m’a nettement répondu que personne ne s’était douté de leur présence, y compris les hommes du magasin, y compris Lewin, y compris Van der Hoeven. Ce dernier les aurait aidés sans le savoir ! 34. Malgré mes questions réitérées sur ce point, M. Frank n’a pas pu me dire ce que vendaient ou fabriquaient ses voisins du n° 261. Il ne se souvenait pas qu’il y eût dans sa propre maison, au n° 263, une femme de ménage décrite dans le livre comme une «ennemie» potentielle ! Il finit par me répondre qu’elle était «très, très vieille» et qu’elle ne venait que très rarement, peut-être une fois par semaine. Je lui dis qu’elle avait dû s’étonner de voir tout d’un coup l’installation de la «porte-armoire» sur le palier du deuxième étage. Il me répondit que non, étant donné que la femme de ménage ne venait jamais par là. Cette réponse devait provoquer une première sorte d’altercation entre M. Frank et son épouse qui assistait à notre entretien. Auparavant, en effet, j’avais eu la précaution de me faire préciser par M. Frank que jamais les clandestins n’avaient fait de ménage en dehors du ménage d’une partie de l’arrière-maison. La conclusion logique des deux affirmations de M. Frank devenait donc: «Pendant vingt-cinq mois, personne n’a fait le ménage du palier du deuxième étage.» Devant cette invraisemblance, Mme Frank intervenait subitement pour dire à son mari: «Allons donc ! Pas de ménage sur ce palier ! Dans une factorie ! Mais il y aurait eu de la poussière haut comme cela !» Ce que Mme Frank aurait pu ajouter, c’est que ce palier était censé servir de lieu de passage pour les clandestins dans leurs allers et retours entre l’arrière-maison et l’avant-maison. La trace de leurs allées et venues aurait été manifeste au milieu de tant de poussière accumulée. Et cela sans compter la poussière du charbon transportée d’en bas. En fait, M. Frank ne pouvait pas dire la vérité quand il parlait ainsi d’une espèce de fantôme de femme de ménage pour une maison si vaste et si salissante. 35. A plusieurs reprises, au début de notre entretien, M. Frank tentait ainsi d’apporter des explications qui, en définitive, n’expliquaient rien du tout et le conduisaient, au contraire, dans des impasses. Je dois dire ici que la présence de son épouse devait se révéler particulièrement utile. Mme Frank, qui connaissait assez bien le Journal, croyait manifestement jusqu’ici à l’authenticité de ce Journal ainsi qu’à la sincérité de son mari. Sa surprise n’en était que plus frappante devant la qualité exécrable des réponses de M. Frank à mes questions. Pour ma part, je conserve un souvenir pénible de ce que j’appellerais certaines «prises de conscience» de Mme Frank. Je ne veux nullement dire que Mme Frank tient aujourd’hui son mari pour un menteur. Mais je prétends que Mme Frank a été vivement consciente, lors de notre entrevue, des anomalies et des absurdités graves de toute l’histoire d’Anne Frank. Entendant les «explications» de son mari, il lui est arrivé d’employer à son adresse des phrases du genre de: – «Allons
donc!»
– «C’est incroyable ce que vous dites là !» – «Un aspirateur? C’est incroyable ! Je ne l’avais pas remarqué !» – «Mais vous étiez vraiment imprudents !» – «Ça, vraiment, c’était imprudent !» La remarque la plus intéressante qu’ait faite Mme Frank est la suivante: «Je suis sûre que les gens [du voisinage] savaient que vous étiez là.» Pour ma part, je dirais plutôt: «Je suis sûr que les gens du voisinage voyaient, entendaient, sentaient la présence des clandestins, si toutefois il s’est bien trouvé des clandestins dans cette maison pendant vingt-cinq mois.» 36. Je prendrais un autre exemple des explications de M. Frank. D’après lui, les gens qui travaillaient dans l’avant-maison ne pouvaient pas apercevoir le corps de bâtiment de l’arrière-maison à cause du «papier d’occultation sur les vitres». Cette affirmation, qu’on trouve dans les prospectus du musée, M. Frank me la répétait devant sa femme. Sans m’attarder à cette affirmation, je passais à un autre sujet: celui de la consommation d’électricité. Je faisais remarquer que la consommation d’électricité dans la maison devait être considérable. Comme M. Frank s’étonnait de ma remarque, je lui précisais: «Cette consommation devait être considérable, parce que la lumière électrique fonctionnait toute la journée dans le bureau sur cour et dans le magasin sur cour de l’avant-maison.» M. Frank me disait alors: «Comment cela? La lumière électrique n’est pas nécessaire en plein jour !» Je lui faisais observer que ces pièces ne pouvaient recevoir la lumière du jour, vu que les fenêtres avaient du «papier d’occultation». Il me répondait alors que les pièces n’étaient pas pour autant dans le noir: réponse déconcertante et qui se trouvait en contradiction avec l’affirmation des prospectus rédigés par M. Frank: «Il faut [...] conserver les épices dans le noir» (p. 25 du prospectus de trente-six pages susmentionné dans ma section 15). M. Frank osait alors ajouter que, ce qu’on distinguait tout de même par ces fenêtres sur cour, ce n’était qu’un mur. Il précisait, contre toute évidence, qu’on ne voyait pas que c’était le mur d’une maison ! Cette précision contredisait le passage suivant du même prospectus: «On voyait bien qu’il y avait des fenêtres [occultées] mais on ne pouvait pas voir au travers de celles-ci et tout le monde supposait qu’elles donnaient sur le jardin» (ibidem). Je demandais si ces fenêtres occultées n’étaient tout de même pas quelquefois ouvertes, ne serait-ce que pour l’aération du bureau où l’on recevait des visiteurs, ne serait-ce que l’été, par les jours de canicule. Mme Frank m’approuvait là-dessus et faisait remarquer que ces fenêtres devaient bien tout de même être quelquefois ouvertes. Silence de M. Frank. 37. La liste des bruits laissait perplexes M. et, surtout, Mme Frank. Pour ce qui est de l’aspirateur, M. Frank sursautait et me déclarait: «Mais il ne pouvait pas y avoir d’aspirateur.» Puis, devant mon assurance qu’il y en avait un, il se mit à bredouiller. Il me dit que, si vraiment il y avait un aspirateur, on devait le faire fonctionner le soir, quand les employés (les «ennemis») avaient quitté l’avant-maison, après leur travail. J’objectais que le bruit d’un aspirateur de cette époque aurait d’autant mieux été entendu des voisins (les murs étaient «minces», 25 mars 43) qu’il se serait produit dans des locaux vides ou à proximité de locaux vides. Je lui révélais que, de toute façon, Mme Van Daan, pour sa part, était supposée passer cet aspirateur tous les jours, régulièrement, vers 12 h 30 (la fenêtre étant probablement ouverte). Silence de M. Frank, cependant que Mme Frank était visiblement émue. Même silence pour le réveille-matin, à la sonnerie parfois intempestive (4 août 43). Même silence pour l’évacuation des cendres, surtout par les jours de canicule. Même silence pour les prélèvements des clandestins sur le stock de charbon (denrée rare), commun à toute la maison. Même silence pour la question des bicyclettes utilisées après leur confiscation et après l’interdiction faite aux juifs d’en utiliser. 38. Une quantité de questions restaient ainsi sans réponse ou bien suscitaient, en un premier temps, des explications par lesquelles M. Frank aggravait son cas. Puis M. Frank eut en quelque sorte une trouvaille: une formule magique. Cette formule fut la suivante: «M. Faurisson, vous avez théoriquement et scientifiquement raison. Je vous approuve à 100%.... Ce que vous me signalez était en effet, impossible. Mais, dans la pratique, c’est pourtant bien ainsi que les choses se sont passées.» Je fis remarquer à M. Frank que cette déclaration jetait le trouble dans mon esprit. Je lui dis que c’était un peu comme s’il convenait avec moi qu’une porte ne peut être à-la-fois-ouverte-et-fermée et comme si, malgré cela, il m’affirmait avoir vu une telle porte. Je lui faisais remarquer, par ailleurs, que les mots de «scientifiquement», de «théoriquement» et de «dans la pratique» étaient superflus et introduisaient une distinction dénuée de sens puisque, de toute façon, «théorique», «scientifique» ou «pratique», une porte à-la-fois-ouverte-et-fermée ne peut tout simplement pas exister. J’ajoutais que je préférerais à chaque question particulière une réponse appropriée ou, à la rigueur, pas de réponse du tout. 39. Vers le début de notre entretien, M. Frank m’avait fait le plus aimablement du monde une concession capitale, une concession annoncée par moi, ci-dessus, à la section 16. Comme je commençais à lui faire comprendre que je trouvais absurdes les explications qu’il avait fournies dans ses prospectus, à la fois sur l’ignorance par les Allemands de l’architecture typique des maisons hollandaises et sur la présence d’une fumée constante au-dessus de l’arrière-maison (la «petite usine»), il voulait bien admettre d’emblée, sans aucune insistance de ma part, qu’il s’agissait bien là de pures inventions de sa part. Sans employer, il est vrai, le mot d’inventions, il me déclarait en substance: «Vous avez tout à fait raison. Dans les explications qu’on donne aux visiteurs, il faut simplifier. Cela n’est pas si sérieux. Il faut rendre cela agréable aux visiteurs. Ce n’est pas la manière scientifique. On n’a pas toujours la chance de pouvoir être scientifique.» 40. Cette confidence nous éclaire sur ce que je crois être un trait de caractère de M. Frank: M. Frank a le sens de ce qui plaît au public et il cherche à s’y adapter, quitte à prendre ses aises avec la vérité. M. Frank n’est pas homme à se mettre martel en tête. Il sait que le grand public se contente de peu. Le grand public recherche une sorte de confort, de rêve, de monde facile où on lui apportera exactement le genre d’émotion qui le confirme dans ses habitudes de sentir, de voir et de raisonner. Cette fumée au-dessus du toit pourrait troubler le grand public? Qu’importe ! Inventons-lui une explication non pas vraisemblable forcément, mais simple et, s’il le faut, simple et grossière. La perfection est atteinte si cette invention flatte des idées reçues ou des sentiments habituels: par exemple, il est bien probable que, pour ceux qui aiment Anne Frank et qui viennent visiter sa maison, les Allemands sont des brutes et des bêtes; eh bien, ils trouveront une confirmation de cela dans les explications de M. Frank: les Allemands allaient jusqu’à ignorer l’architecture typique des maisons d’Amsterdam (sic !). D’une façon générale, M. Frank m’est apparu, à plus d’une reprise, comme un homme dépourvu de finesse (mais non de finasserie) et pour qui une œuvre littéraire est, par rapport à la réalité, une forme d’invention mensongère, un domaine où l’on prend ses aises avec la vérité, une chose qui «n’est pas si sérieuse» et qui permet d’écrire un peu n’importe quoi. 41. Je demandais à M. Frank quelles explications il pouvait me fournir sur les deux points où il convenait qu’il n’avait rien dit de sérieux aux visiteurs. Il ne sut me répondre. Je l’interrogeais sur la configuration des lieux. J’avais noté des anomalies dans le plan de la maison, tel qu’il se trouve reproduit par M. Frank – dans toutes les éditions du Journal. Ces anomalies m’avaient été confirmées par ma visite du musée (compte tenu de transformations apportées aux lieux pour en faire un musée). C’est alors qu’à nouveau, M. Frank allait être conduit, devant les évidences matérielles, à me faire de nouvelles et graves concessions, notamment, ainsi qu’on va le voir, en ce qui concerne la «porte-armoire». Il commençait par admettre que le schéma du plan n’aurait pas dû cacher au lecteur que la courette qui sépare l’avant-maison de l’arrière-maison était commune au n° 263 (maison des Frank) et au n° 265 (maison de leurs voisins et «ennemis»); il est d’ailleurs bizarre que, dans le Journal, il n’y ait pas la plus petite allusion à ce fait qui, pour les clandestins, était d’une gravité extrême. M. Frank reconnaissait ensuite que le schéma du plan laissait croire qu’au troisième étage la galerie en plein air n’était pas accessible; or, cette galerie était accessible par une porte de l’arrière-maison et elle aurait pu bel et bien offrir à la police ou aux «ennemis» une facile voie d’accès au cœur même des lieux habités par les clandestins. Enfin et surtout, M. Frank me concéda que la «porte-armoire»... n’avait aucun sens. Il reconnut que ce maquillage n’aurait pu, en aucun cas, empêcher une perquisition de l’arrière-maison vu que cette arrière-maison était accessible par d’autres voies et, notamment, par la voie la plus naturelle: la porte d’entrée donnant sur le jardin. Cette évidence, il est vrai, ne peut apparaître au vu du schéma, puisque le schéma ne contient aucun dessin du rez-de-chaussée tout entier. Quant aux visiteurs du musée, ils n’ont pas accès à ce même rez-de-chaussée. Cette fameuse «porte-armoire» devient ainsi une invention des «clandestins» particulièrement aberrante. On doit, en effet, songer ici que la fabrication de cette «porte-armoire» a été une besogne périlleuse. La destruction des marches d’escalier, le montage de cette fausse armoire, la transformation d’un lieu de passage en un apparent cul-de-sac, tout cela ne pouvait que donner l’éveil aux «ennemis». Tout cela avait donc été suggéré par Kraler et exécuté par Vossen (21 août 42) ! 42. Plus mon entretien avançait, plus l’embarras de M. Frank était visible. Mais son amabilité ne se démentait pas; au contraire. Sur la fin, M. Frank allait employer une argumentation sentimentale, apparemment habile et sur un ton de bonhomie. Cette argumentation était la suivante: «Oui, je vous l’accorde, nous avons été un peu imprudents. Certaines choses étaient un peu dangereuses, il faut le reconnaître. D’ailleurs, est-ce peut-être bien pour cela que nous avons été finalement arrêtés. Mais ne croyez pas, monsieur Faurisson, que les gens étaient soupçonneux à ce point.» Cette curieuse argumentation allait dicter à M. Frank des phrases comme: «Les gens étaient gentils !» ou bien: «Les Hollandais étaient bons !» ou même, à deux reprises: «La police était bonne !» 43. Ces phrases n’avaient qu’un inconvénient: elles rendaient absurdes toutes les «précautions» signalées dans le livre. Dans une certaine mesure, elles ôtaient même au livre tout son sens. Ce livre raconte, en effet, l’aventure tragique de huit personnes traquées, contraintes de se cacher, de s’enterrer vivantes pendant vingt-cinq mois au sein d’un monde férocement hostile. Dans ces «jours de tombeau», seuls quelques êtres d’élite savaient leur existence et leur portaient secours. On peut dire qu’en recourant à ses derniers arguments, M. Frank tentait, d’une main, de calfeutrer les fissures d’un ouvrage que, de l’autre main, il démantelait. 44. Le soir de notre première journée d’entretien, M. Frank me remettait son propre exemplaire, en français, du livre d’Ernst Schnabel: Spur eines Kindes (Sur les traces d’Anne Frank). Il me dit que je trouverais peut-être dans ce livre des réponses à certaines de mes questions. Les pages de cet exemplaire n’étaient pas découpées. Il faut dire que M. Frank parle et comprend le français, mais le lit avec un peu de difficulté. (Je précise ici que tous nos entretiens se déroulaient en anglais, langue que M. Frank maîtrise parfaitement.) Je n’avais pas encore lu ce livre, parce que la stricte observance des méthodes propres à la pure critique interne fait obligation de ne rien lire sur une œuvre aussi longtemps qu’on ne s’est pas fait personnellement une idée claire de cette œuvre. Dans la nuit qui précéda notre second entretien, je parcourus ce livre. Parmi une dizaine de points qui allaient me confirmer que le Journal était une affabulation (et cela alors même que Schnabel déployait beaucoup d’efforts pour nous persuader du contraire), je relevai, à la page 151, un passage stupéfiant. Ce passage concernait M. Vossen, l’homme qui s’était, paraît-il, dévoué comme menuisier pour la fabrication de la «porte-armoire» destinée à cacher les clandestins (Journal, 21 août 1942). Le «bon Vossen» était censé travailler au 263 Prinsengracht. Il tenait les clandestins au courant de tout ce qui se passait au magasin. Mais la maladie l’avait obligé à se retirer chez lui où sa fille Elli le rejoignait après ses propres heures de travail. A la date du 15 juin 1943, Anne en parle comme d’un ami précieux. Or, si l’on en croit un propos d’Elli, rapporté par Schnabel, le bon Vossen... ignorait l’existence des Frank au 263 Prinsengracht ! Elli raconte, en effet, qu’à la date du 4 août 1944, quand elle rentra à son domicile, elle informa son père de l’arrestation des Frank. «Je me suis assise au bord du lit et je lui ai tout raconté. Mon père aimait beaucoup M. Frank qu’il connaissait depuis longtemps. Il ignorait que les Frank n’étaient pas partis pour la Suisse, comme on le prétendait, mais qu’ils s’étaient cachés dans la Prinsengracht.» Mais ce qui est incompréhensible, c’est que Vossen ait pu croire à ce bruit. Pendant près d’un an il lui avait été donné de voir les Frank à Prinsengracht, de leur parler, de les aider, de devenir leur ami. Puis, quand, en raison de sa mauvaise santé, il avait quitté son emploi à Prinsengracht, sa fille Elli pouvait le tenir au courant des faits et gestes de ses amis Frank. 45. M. Frank ne put m’expliquer ce passage du livre de Schnabel. Se précipitant sur les textes allemand et américain du même ouvrage, il faisait une surprenante découverte: tout le passage où Elli parle de son père figurait bien dans ces textes mais... amputé de la phrase commençant par: «Il ignorait...» et se terminant par: «la Prinsengracht» Dans le texte français, Elli poursuivait: «Il ne dit rien. Il restait couché en silence.» Voici, pour comparaison, le texte allemand: Ich setzte mich zu ihm ans Bett und
habe ihm alles gesagt. Er hing sehr an Herrn Frank, denn er kannte
ihn lange [passage
manquant] Gesagt hat er nichts. Er hat nur dargelegen
[2].
Et voici le texte américain: I sat down beside his bed and told
him everything. He was deeply attached to Mr. Frank, whom he had
known a long time [passage
manquant]. He said nothing [3].
46. Rentré en France, il me fut facile d’élucider ce mystère: par bien d’autres points du texte français il devenait évident qu’il avait existé deux versions originales allemandes. La première version de Schnabel avait dû être envoyée en «tapuscrit» à la maison d’édition française Albin Michel pour qu’en soit préparée une traduction en français, sans perdre de temps. Là-dessus, Schnabel ou, fort probablement, M. Frank, avait procédé à une révision de son texte. Il en avait alors supprimé la phrase litigieuse sur Vossen. Puis, Fischer avait publié cette version corrigée. Mais, en France, on avait mis les bouchées doubles et le livre sortait déjà des presses. Il était trop tard pour le corriger. Je remarque d’ailleurs une curiosité bibliographique: mon exemplaire de Sur les traces d’ Anne Frank porte la mention de «18emille» et sa date d’ «achevé d’imprimer» est de février 1958. Or, le premier mille de l’édition originale allemande est de März 1958. La traduction est donc bien parue avant l’original. 47. Reste, bien entendu, à savoir pourquoi M. Frank ou E. Schnabel ont cru bon de procéder à cette étonnante correction. Toujours est-il que M. Frank a manifesté son désarroi une fois de plus devant cette anomalie supplémentaire. Nous prenions congé dans une atmosphère des plus pénibles, où chaque témoignage d’amabilité que me prodiguait M. Frank me gênait un peu plus. Peu après mon retour en France, j’écrivais à M. Frank pour le remercier de son accueil et pour lui demander l’adresse d’Elli. Il me répondait aimablement en me demandant de lui renvoyer l’exemplaire en français du livre de Schnabel, et sans me parler d’Elli. Je lui renvoyais son exemplaire en lui redemandant l’adresse. Pas de réponse cette fois-ci. Je lui téléphonais à Birsfelden. Il me répondit qu’il ne me donnerait pas cette adresse, et cela d’autant moins que j’avais envoyé à Kraler (Kugler) une lettre «idiote». Je reviendrai sur cette lettre. Chapitre IV
48. Examen bibliographique: de curieux silences et de curieuses révélations. 49. Le livre susmentionné de Schnabel (Spur eines Kindes) a de curieux silences, tandis que le long article, non signé, que Der Spiegel (1er avril 1959, p. 51-55) a consacré au Journal, à la suite de l’affaire Stielau, nous apporte de curieuses révélations. Le titre de cet article est éloquent: «Anne Frank. Was schrieb das Kind?» (Anne Frank. Qu’a écrit l’enfant?) 50. Ernst Schnabel fait ouvertement l’apologie d’Anne Frank et d’Otto Frank. Son livre est relativement riche sur tout ce qui précède et sur tout ce qui suit les vingt-cinq mois de la vie à Prinsengracht. En revanche, il est d’une pauvreté extrême en ce qui concerne ces vingt-cinq mois. On dirait que les témoins directs (Miep, Elli, Kraler, Koophuis, Henk) n’ont rien à déclarer sur cette période capitale. Pourquoi se taisent-ils ainsi? Pourquoi n’avoir dit que quelques banalités du genre de: «[...] quand à midi, là-haut, chez eux, nous prenions notre assiettée de soupe» (p. 99) ou bien: «Nous mangions toujours ensemble» (p. 102)? Pas un détail concret, pas une description, pas une anecdote n’est là qui, par sa précision, donnerait l’impression que les clandestins et leurs fidèles amis partageaient ainsi régulièrement la même table à midi. Tout apparaît dans une espèce de brouillard. Or, ces témoins n’ont été interrogés que treize ans, tout au plus, après l’arrestation des Frank, et certains d’entre eux, comme Elli, Miep et Henk, étaient encore jeunes. Je ne parle pas de nombreuses autres personnes que Schnabel qualifie abusivement de «témoins» et qui, en fait, n’ont jamais connu ni même rencontré les Frank. C’est le cas, par exemple, pour le fameux «marchand de légumes». Ce «Gemüsemann»: «Il ne connaissait pas du tout les Frank» (p. 73). D’une façon générale, l’impression que je retire de la lecture du livre de Schnabel est la suivante: cette Anne Frank a réellement existé; elle a été une petite jeune fille sans grand caractère, sans forte personnalité, sans précocité scolaire (au contraire même), et personne ne lui soupçonnait d’aptitude à écrire; cette malheureuse enfant a connu les horreurs de la guerre; elle a été arrêtée par les Allemands; elle a été internée, puis déportée; elle est passée par le camp d’Auschwitz-Birkenau; elle a été séparée de son père; sa mère est morte à l’infirmerie de Birkenau le 6 janvier 1945; sa sœur et elle ont été, vers octobre 1944, transférées au camp de Bergen-Belsen; Margot est morte du typhus; puis, Anne, à son tour, seule au monde, a dû, elle aussi, mourir du typhus, en mars 1945. Voilà des points sur lesquels les témoins n’ont pas hésité à parler. Mais chez tous on sent de la méfiance devant une Anne de légende, capable de tenir la plume comme on nous le dit, capable de tenir ce Journal et d’écrire ces Contes, et de rédiger «un début de roman», etc. Schnabel lui-même écrit une phrase révélatrice quand il déclare: «Sur la personne d’Anne mes témoins savaient beaucoup raconter mais sa légende les laissait seulement silencieux ou tout à fait craintifs. Ils ne la contestèrent ni ne la contredirent par une seule parole mais c’était comme s’ils avaient eu à s’en protéger eux-mêmes. Tous avaient lu le journal d’Anne, mais ils ne le mentionnèrent pourtant pas» (p. 8). Cette dernière phrase est importante: «Tous avaient lu le journal d’Anne, mais il ne le mentionnèrent pourtant pas.» Même Kraler, qui envoya de Toronto une longue lettre à Schnabel, ne fit mention ni du Journal, ni des autres écrits d’Anne (p. 77). Kraler est le seul témoin direct à raconter une anecdote ou deux sur Anne; or, d’une façon très curieuse, il situe ces anecdotes à l’époque où les Frank habitaient encore leur appartement de Merwedeplein, avant leur «disparition» («avant qu’ils fussent disparus» (p. 78). C’est seulement dans l’édition corrigée que la seconde anecdote est située à Prinsengracht même «alors qu’ils étaient déjà dans l’arrière-maison» (p. 78). Les témoins n’ont pas voulu que leurs noms soient publiés. Les deux plus importants témoins (le «dénonciateur probable» et le policier autrichien) n’ont été ni interrogés, ni même recherchés. Schnabel tente à plusieurs reprises d’expliquer cette curieuse abstention (p. 11, 119 et toute la fin du chapitre X). Il va jusqu’à présenter une sorte de défense du policier arrestateur ! Une personne mentionne tout de même le Journal, mais c’est pour en signaler un point qui lui semble bizarre et qui concerne l’école Montessori dont cette personne était la directrice (p. 40). Schnabel lui-même traite curieusement le Journal. Comment expli- quer, en effet, les amputations qu’il pratique quand il cite un passage comme celui de ses pages 106 et 107? Citant un long passage de la lettre du 11 avril 1944 où Anne raconte la descente de police à la suite du cambriolage, il supprime la phrase où Anne donne la raison essentielle de son angoisse, cette raison c’est que la police, paraît-il, est allée jusqu’à don- ner de bruyantes secousses à la «porte-armoire». («Das und das Rasseln der Polizei an der Schranktüre waren für mich die schrecklichsten Augenblicke.») Schnabel n’aurait-il pas pensé, comme tout homme sensé, que ce passage est absurde? En tout cas, il nous dit qu’il a visité le 263 Prinsengracht avant sa transformation en musée. Il n’y a pas vu de «porte-armoire». Il écrit: «Le rayonnage qu’on avait posé contre cette porte pour la camoufler entièrement a été arraché. Seules les charnières tordues pendent encore à la porte» (p. 67). Il n’a trouvé aucune trace d’un camouflage spécial, mais seulement, dans la chambre d’Anne, un morceau de rideau jauni («ein zerschlissener, vergilbter Rest der Gardine» [ibidem]). M. Frank, paraît-il, marquait au crayon, sur le papier mural, près d’une porte, les tailles successives de ses filles. Aujourd’hui, au musée, les visiteurs peuvent voir un impeccable carré de papier mural, placé sous verre, et où se remarquent d’impeccables traits de crayon qui paraissent avoir été tracés le même jour. On nous dit que ces traits de crayon indiquaient les tailles des enfants de M. Frank. Quand j’ai vu M. Frank à Birsfelden, je lui ai demandé s’il ne s’agissait pas là d’une «reconstitution». Il m’a assuré que tout cela était authentique. C’est difficile à croire. Schnabel, lui, a simplement vu, comme marque, un «A 42» qu’il interprète ainsi: «Anne 1942». Ce qui est curieux, c’est que le papier «authentique» du musée ne porte rien de tel. Schnabel dit bien qu’il n’a vu que cette marque et que les autres ont été détruites ou arrachées («die anderen Marken sind abgerissen» [ibidem]). M. Frank se serait-il rendu coupable ici d’un artifice («ein Trick»), comme celui qu’il a suggéré à Henk et à Miep pour la photocopie de leur passeport? Un point très intéressant de l’histoire d’Anne est celui qui touche aux manuscrits. J’ai le regret de dire que je trouve peu vraisemblable le récit de la découverte de ces manuscrits, puis de leur transmission à M. Frank par sa secrétaire Miep. La police aurait jonché le sol de toutes sortes de papiers. Parmi ces papiers, Miep et Elli auraient recueilli un «cahier écossais» («ein rotkariertes Buch»: un livre quadrillé rouge) et bien d’autres écrits où elles auraient reconnu l’écriture d’Anne. Elles n’en auraient rien lu. Elles auraient mis tous ces papiers de côté dans le grand bureau. Puis, ces papiers auraient été remis à M. Frank à son retour de Pologne (p. 155-157). Ce récit ne coïncide pas du tout avec le récit de l’arrestation. L’arrestation s’est faite lentement, méthodiquement, correctement, tout comme la perquisition. Les témoignages sont unanimes sur ce point (voyez le chapitre IX). Après l’arrestation, le policier est revenu à plusieurs reprises sur les lieux. Il a, en particulier, interrogé Miep. La police a voulu savoir si les Frank étaient en relation avec d’autres clandestins. Le Journal, tel que nous le connaissons, aurait révélé, au premier coup d’œil, une foule de renseignements précieux pour la police et terriblement compromettants pour Miep, pour Elli et pour tous les amis des clandestins. La police a pu négliger le «cahier écossais» si, dans son état originel, il ne comportait, comme je le pense, que des dessins, des photographies ou des notes de caractère inoffensif. Mais il paraîtrait invraisemblable qu’elle ait laissé sur place plusieurs cahiers et plusieurs centaines de feuillets épars, dont l’écriture était, au moins en apparence, celle d’un adulte. De la part d’Elli et de Miep, ç’aurait été folie de rassembler et de garder, surtout au bureau, une telle masse de documents compromettants. Elles savaient, paraît-il, qu’Anne tenait un journal. Dans un journal, on est censé raconter ce qui se passe au jour le jour. Anne risquait, par conséquent d’y mentionner Miep et Elli. 51. A propos du livre de Schnabel, M. Frank m’avait fait une surprenante révélation. Il m’avait dit que ce livre, pourtant traduit en plusieurs langues, ne l’avait pas été en néerlandais ! La raison de cette exception était que les principaux témoins résidaient en Hollande et que, par modestie en même temps que par souci de calme, ils souhaitaient qu’on ne parle pas d’eux. En réalité, M. Frank se trompait ou bien il me trompait. Une enquête menée à Amsterdam devait, en un premier temps, me donner à croire que le livre de Schnabel n’avait pas été traduit en néerlandais. Même la maison d’édition Contact répondait ou faisait répondre à plusieurs libraires et à plusieurs particuliers que ce livre n’existait pas. Je découvrais alors que, dans une vitrine du musée, le livre de Schnabel était indiqué comme ayant été traduit et publié en 1970 (douze ans après sa publication en Allemagne, en France et aux États-Unis !) sous le titre de : Haar laatste Levensmaanden («Ses derniers mois»). Le livre était malheureusement introuvable. Mêmes réponses des libraires et de la maison Contact. A force d’insistance, Contact me répondait enfin qu’il ne leur restait qu’un exemplaire d’archives. Non sans difficulté j’obtins de le consulter, et puis d’en avoir la photocopie pour les pages 263 à 304. Car en réalité, l’ouvrage en question ne contenait qu’un extrait du livre de Schnabel, réduit à trente-cinq pages, et placé en appendice au texte du Journal. L’étude comparée de Spur eines Kindes et de sa «traduction» en néerlandais est du plus haut intérêt. Du livre de Schnabel, les Néerlandais ne peuvent lire que les cinq derniers chapitres (sur treize chapitres en tout). Encore trois de ces cinq chapitres ont-ils subi des coupures de toute sorte. Certaines de ces coupures sont signalées par des points de suspension. D’autres ne sont pas signalées du tout. Les chapitres ainsi mis en pièces sont les chapitres IX, X et XIII, c’est-à-dire ceux qui concernent, d’une part, l’arrestation et ses suites directes (en Hollande) et, d’autre part, l’histoire des manuscrits. Dès qu’il ne s’agit plus de ces sujets, dès qu’il s’agit des camps (ce qui est le cas dans les chapitres XI et XII), le texte original de Schnabel est respecté. Examinées de près, les coupures semblent avoir été introduites pour enlever les détails un tant soit peu parlants qui figuraient dans les témoignages de Koophuis, de Miep, de Henk et d’Elli. Par exemple, il manque, sans que rien ne nous signale l’existence d’une coupure, le passage capital où Elli raconte comment elle a appris à son père l’arrestation des Frank (les treize lignes de la page 115 de Spur sont totalement absentes de la page 272 de Haar laatste Levensmaanden). Il est aberrant que le seul peuple auquel on ait ainsi réservé une édition expurgée de la vie d’Anne Frank soit précisément celui où est née l’aventure d’Anne Frank. Imagine-t-on des révélations sur Jeanne d’Arc qui seraient faites à toute sorte de peuples étrangers, mais interdites en quelque sorte au peuple français? Une pareille façon d’agir ne se comprend que lorsque des éditeurs craignent que, dans le pays d’origine, des «révélations» ne paraissent assez vite suspectes. L’explication donnée par M. Frank ne tient guère. Puisque Koophuis, Miep, Henk et Elli se trouvent de toute façon nommés (d’ailleurs par des pseudonymes complets ou partiels), et puisque Schnabel leur fait tenir tel et tel propos, on ne voit pas comment les coupures introduites dans ces propos peuvent flatter la modestie chatouilleuse de leurs auteurs ou leur assurer plus de tranquillité dans leur vie à Amsterdam. Je croirais plutôt que la mise au point de la traduction néerlandaise a donné lieu à de très longues et laborieuses tractations entre tous les intéressés ou, du moins, entre M. Frank et certains d’entre eux. Les «témoins» ont certes accepté de prêter leur collaboration à M. Frank dans l’édification de l’histoire d’Anne Frank, mais, avec les années, ils sont devenus plus circonspects et plus avares de détails que dans leurs «témoignages» originels. 52. L’article susmentionné de Der Spiegel nous apporte, comme je l’ai dit, de curieuses révélations. J’ai pour principe de me défier des journalistes. Ils travaillent trop vite. Ici, il est manifeste que le journaliste a mené une enquête approfondie. Le sujet était trop brûlant et trop délicat pour être traité à la légère. La conclusion de ce long article pourrait, en effet, être la suivante: en suspectant le Journal d’être un faux, Lothar Stielau n’a peut-être rien prouvé, mais il n’empêche qu’il a «heurté un problème effectivement épineux – le problème de la genèse de l’édition du livre» (auf ein tatsächlich heikles Problem gestossen – das Problem der Enstehung der Buchausgabe, p. 51). Et il se révèle que nous sommes très loin du texte des manuscrits originaux quand nous lisons en néerlandais, en allemand ou en quelque langue que ce soit, le livre intitulé Journal d’Anne Frank. A supposer un instant que les manuscrits soient authentiques, il faut bien savoir, en effet, que ce que nous lisons sous ce titre, par exemple en néerlandais (c’est-à-dire dans la langue supposée originale), n’est que le résultat de toute une série de travaux de refonte et de rewriting auxquels ont participé notamment M. Frank et quelques amis intimes parmi lesquels, pour le texte néerlandais, le couple Cauvern, et, pour le texte allemand, Anneliese Schütz, dont Anne fut l’élève. 53. Entre l’état original du livre (c’est-à-dire les manuscrits) et son état imprimé (c’est-à-dire l’édition néerlandaise de Contact en 1947), le texte a connu au moins cinq états successifs. Premier état: entre fin
mai 1945 et octobre 1945, M. Frank a établi une
sorte de copie («Abschrift») des manuscrits, en partie
seul, en partie avec l’aide de sa secrétaire Isa
Cauvern (cette femme était l’épouse d’un
ami de M. Frank: Albert Cauvern; avant la guerre, les Cauvern
avaient reçu chez eux les enfants Frank, pour les
vacances).
Deuxième état: d’octobre 1945 à janvier 1946, M. Frank et Isa Cauvern travaillèrent ensemble à une nouvelle version de la copie, une version dactylographiée («Neufassung der Abschrift/maschinengeschriebene Zweitfassung»). Troisième état: à une date non précisée (fin de l’hiver 1945-1946?), cette seconde version (dactylographiée) fut soumise à Albert Cauvern; celui-ci, en tant qu’homme de radio – il était «lecteur» à la chaîne de radio «De Vara» à Hilversum – s’entendait en rewriting de manuscrits; selon ses propres paroles, il commença par «passablement changer» cette version; il rédigea son propre texte en «homme d’expérience» («Albert Cauvern stellt heute nicht in Abrede, daß er jene maschinengeschriebene Zweitfassung mit kundiger Hand redigiert hat: «Am Anfang habe ich ziemlich viel geändert»», p. 52). Détail surprenant pour un journal: il ne craignit pas de regrouper sous une seule date des lettres écrites à des dates différentes; en un second temps, il se borna à corriger la ponctuation ainsi que les fautes d’expression et de grammaire; tous ces changements et corrections furent portés sur le texte dactylographié; A. Cauvern n’a jamais vu les manuscrits originaux. Quatrième état: à partir des changements et des corrections, M. Frank établit ce qu’on peut appeler le troisième texte dactylographié, au printemps de 1946; il en soumit le résultat à «trois hautes personnalités compétentes» («drei prominente Gutachter», p. 53), en leur laissant croire qu’il s’agissait de la reproduction intégrale d’un manuscrit, à l’exception, bien compréhensible, de quelques points d’ordre personnel; ensuite, ces trois personnes ayant apparemment donné leur caution au texte, M. Frank alla le proposer à plusieurs maisons d’édition d’Amsterdam qui le refusèrent; se tournant alors, selon toute vraisemblance — mais ce point n’est pas très clair — vers l’une de ces trois personnes, Mme Anna Romein-Verschoor, il obtint que le mari de cette dernière, M. Jan Romein, professeur d’histoire des Pays-Bas à l’université d’Amsterdam, écrivît dans le quotidien Het Parool un article retentissant qui commençait par ces mots: «Il m’est par hasard tombé entre les mains un journal [etc.]»; l’article étant fort élogieux, une modeste maison d’édition d’Amsterdam demanda à publier ce journal (Contact). Cinquième état: l’accord une fois passé ou en voie de l’être, M. Frank alla trouver plusieurs «conseillers spirituels» (mehrere geistliche Ratgeber), dont le pasteur Buskes; il leur accorda pleine licence de censurer le texte («räumte ihnen freiwillig Zensoren-Befugnisse ein», p. 53-54). Et cette censure s’exerça. 54. Mais là ne s’arrêtent pas les bizarreries. Le texte allemand du Journal fait l’objet d’intéressantes remarques de la part du journaliste de Der Spiegel. Il écrit: «Une curiosité de la «littérature Anne Frank» est constituée par l’œuvre de traduction d’Anneliese Schütz, dont Schnabel disait: «Je souhaiterais que toutes les traductions fussent aussi fidèles», mais dont le texte s’écarte très souvent de l’original hollandais» (p. 54). En fait, comme je le montrerai plus loin (sections 72-103), le journaliste est tout à fait indulgent dans sa critique, quand il dit que le texte allemand s’écarte très souvent de ce qu’il appelle l’original (c’est-à-dire sans doute de l’original imprimé par les Hollandais). Le texte imprimé allemand n’a pas droit au titre de traduction de l’imprimé hollandais: il constitue, à proprement parler, un autre livre à lui seul. Mais passons sur ce point. Nous y reviendrons. Anneliese Schütz, grande amie des Frank, comme eux réfugiée juive allemande en Hollande, et professeur d’Anne, mit donc au point un texte, en allemand, du journal de son ancienne élève. Elle s’attela à ce travail... pour la grand-mère d’Anne ! Celle-ci, très âgée, ne lisait pas, en effet, le hollandais. Il lui fallait donc une traduction en allemand, langue maternelle des Frank. Anneliese Schütz composa sa «traduction» «dans la perspective de la grand-mère» (aus der Grossmutter-Perspektive, p. 55). Elle prit de stupéfiantes libertés. Là où, d’après ses souvenirs, Anne s’était mieux exprimée, elle la fit... s’exprimer mieux ! La grand-mère avait droit à cela ! ([...] die Grossmutter habe ein Recht darauf, mehr zu erfahren – vor allem dort, «wo Anne nach meiner Erinnerung etwas besseres gesagt hatte») (ibidem). Soit dit en passant, Anneliese Schütz n’est jamais mentionnée dans le Journal par Anne Frank. Faut-il comprendre qu’elle a vécu auprès d’Anne ou qu’elle l’a rencontrée pendant les vingt-cinq mois où celle-ci se cachait à Prinsengracht? A la «perspective de la grand-mère», qui dictait certaines «obligations», succéda ce qu’on peut appeler la «perspective commerciale» qui dicta d’autres obligations. En effet, quand vint le moment de publier en Allemagne le Journal, Anneliese Schütz introduisit de nouvelles modifications. Prenons un exemple qu’elle cite elle-même. Le manuscrit, à ce qu’on dit, comportait la phrase suivante: «[...] pas de plus grande hostilité au monde qu’entre les Allemands et les juifs» (ibidem). Anneliese Schütz remplaça «les Allemands» par «ces Allemands», en prenant soin de mettre «ces» en italique, pour donner à entendre aux lecteurs allemands que Anne désignait par là les nazis. Anneliese Schütz déclarait au journaliste de Der Spiegel: «Je me suis toujours dit qu’un livre, appelé à être vendu en Allemagne, ne peut contenir d’expression outrageante pour les Allemands» (ibidem). Pour ma part, je dirais que cette argumentation d’ordre à la fois commercial, sentimental et politique se comprend à la rigueur de la part d’une femme d’origine juive berlinoise, qui avait milité avant la guerre dans un mouvement de suffragettes et qui avait dû s’expatrier pour des raisons politiques, mais qu’autrement cette argumentation est d’autant moins acceptable que les propos «outrageants» ont été et continuent d’être propagés dans des millions d’exemplaires du Journal vendus à travers le monde en d’autres langues que l’allemand. Et je ne parle pas ici du simple point de vue du respect de la vérité. 55. On n’a pas l’impression que les «collaborateurs» de M. Frank à l’édition du Journal se soient tellement félicités de leur travail, ni qu’ils se soient réjouis spécialement du bruit fait autour de ce Journal. Prenons ces collaborateurs les uns après les autres. D’Isa Cauvern, nous ne pouvons rien dire sinon qu’elle s’est suicidée, en se jetant de sa fenêtre, en juin 1946. M. Frank venait de signer ou allait signer son contrat de publication avec Contact. Le motif de ce suicide ne nous est pas connu et il est présentement impossible d’établir un lien quelconque entre ce suicide et l’affaire du Journal. Quant à la préfacière, Anna Romein-Verschoor, elle devait déclarer en 1959 à Der Spiegel: «Je n’ai pas du tout été assez méfiante» (Ich bin wohl nicht misstrauisch genug gewesen). Son mari n’avait pas été plus méfiant. Albert Cauvern lui, n’a jamais pu obtenir de M. Frank le retour du texte dactylographié sur lequel il avait travaillé. Il avait demandé ce texte «en mémoire de [s]a femme», morte en 1946. M. Frank n’avait pas envoyé le texte en question. Kurt Baschwitz, ami de M. Frank, était l’une des «trois personnalités éminentes» (les deux autres étant M. et Mme Romein). En 1959, il devait plaider pour un «arrangement» entre M. Frank et Lothar Stielau. Il préconisait, d’autre part, une publication intégrale du texte des manuscrits pour résoudre le problème. Pour savoir à quoi s’en tenir, cette solution aurait été, en effet, la plus commode. Anneliese Schütz, pour sa part, devait manifester sa réprobation, à la fois du «Mythe Anne Frank» et de l’attitude de M. Frank à l’endroit de Lothar Stielau. Elle était pour la politique du silence: le moins de bruit possible autour d’Anne Frank et de son Journal. Elle allait jusqu’à désapprouver M. Frank et Ernst Schnabel pour Spur eines Kindes: qu’avait-on besoin de ce livre? Quant à Stielau, s’il avait formulé la remarque que lui reprochait M. Frank, il n’y avait qu’à faire comme si on ne l’entendait pas. Cette réaction «tranchante» (scharf [ibidem]) d’Anneliese Schütz était d’autant plus curieuse que cette femme se présentait comme la «traductrice» du Journal en allemand et que Ernst Schnabel avait – mais peut-être ne le savait-elle pas? – poussé la complaisance jusqu’à déclarer à propos de cette invraisemblable «traduction»: «Ich wünschte, alle Übersetzungen wären so getreu» (p. 54) («Je souhaiterais que toutes les traductions fussent aussi fidèles»). Chapitre V
56. Retour à Amsterdam pour une nouvelle enquête: l’audition des témoins se révèle défavorable à M. Frank. La vérité probable. 57. La critique interne du Journal m’avait conduit à estimer que ce Journal était un «conte à dormir debout», un roman, un mensonge. Les investigations suivantes n’avaient fait que renforcer ce jugement. Mais, si je voyais bien où était le mensonge, je ne voyais pas pour autant où était la vérité. Je voyais bien que la famille Frank n’avait pas pu vivre pendant vingt-cinq mois, au 263 Prinsengracht, de la façon dont elle le prétendait. Mais comment avait-elle vécu en réalité? Où? Avec qui? Et, pour finir, est-ce bien au 263 Prinsengracht qu’elle avait été arrêtée? 58. Sans illusion sur la réponse qu’il me ferait, je posais ces questions à Kraler (de son vrai nom, Kugler) dans une lettre que je lui envoyais au Canada. Je lui demandais également si Anne lui paraissait avoir été l’auteur du Journal et comment il pouvait m’expliquer que Vossen (de son vrai nom, Voskuyl) ait cru que les Frank étaient ailleurs qu’au 263 Prinsengracht, et même, précisément, en Suisse. Sa réponse fut discourtoise. Il communiqua ma lettre et cette réponse à M. Frank. C’est cette lettre que M. Frank qualifia d’ «idiote» lors d’une conversation téléphonique. C’est, je suppose, cette réponse qui valut à Kraler, un an plus tard, de recevoir d’une institution un prix de dix mille dollars pour avoir «protégé Anne Frank et sa famille pendant la guerre, à Amsterdam» [4]. Abstraction faite de sa discourtoisie, la réponse de Kraler ne me parut pas inintéressante. Kraler me répondait que la suggestion de Vossen concernant la présence des Frank en Suisse «était faite pour protéger la famille qui se cachait» (lettre du 14 avril 1977). Il ajoutait, à propos d’Anne: «il a existé d’autres jeunes, même plus jeunes qu’Anne, grandement doués». Je trouvais que le premier point de cette réponse était précis mais incompréhensible si l’on se rappelle que Vossen avait, d’après sa propre fille, le sentiment personnel que les Frank étaient en Suisse. Quant au second point de la réponse, son caractère stéréotypé était frappant de la part d’un homme qui n’aurait dû avoir que l’embarras du choix pour donner une réponse précise et convaincante. Kraler, en effet, était censé avoir vécu pendant vingt-cinq mois en un contact quasi quotidien avec cette Anne Frank dont le «journal» était un secret de polichinelle, paraît-il, pour ceux qui la connaissaient. 59. L’audition d’Elli, le 30 novembre 1977, puis celle de Miep et de Henk le 2 décembre 1977, me frappèrent d’emblée par l’impression que ces trois personnes n’avaient nullement vécu pendant vingt-cinq mois au contact des Frank et des autres clandestins de la façon dont cela nous est rapporté dans le Journal. En revanche, j’acquis la conviction qu’au moins Miep et Elli avaient été présentes au 263 Prinsengracht, le 4 août 1944, lors de la descente de police. Il m’est difficile de rendre compte de l’insistance avec laquelle Elli et Miep se dérobèrent à mes questions sur les vingt-cinq mois, pour en venir et en revenir à la journée du 4 août 1944. Elli, dont j’avais eu beaucoup de peine à trouver la trace, n’attendait ni ma visite, ni le type de questions précises que j’allais lui poser. Miep et Henk s’attendaient à ma visite et savaient que j’avais vu M. Frank. Dans aucune de ces deux auditions je n’eus besoin de procéder comme avec M. Frank. Mes questions furent brèves, en nombre limité et, sauf exception, je ne montrais pas à mes témoins soit leurs contradictions mutuelles, soit leurs contradictions avec le Journal. Elli, pleine de bonne volonté, me paraissait avoir une bonne mémoire des années de guerre et de menus événements de sa vie quotidienne d’alors (elle avait vingt-trois ans en 1944). Or, pour ce qui est des vingt-cinq mois, ses réponses à mes questions furent en général: «Je ne sais pas... Je ne me rappelle pas... Je ne peux pas vous expliquer...» «Le dépôt de charbon? Il était dans la chambre des Van Daan.» «Les cendres? Je suppose que les hommes les descendaient.» «Le gardien de nuit Slagter? Je n’en ai jamais entendu parler; après la guerre, nous avons eu un[e] secrétaire qui s’appelait de ce nom.» «Lewin? Je n’ai jamais eu affaire à lui.» «La «porte-armoire»? Vous avez raison, elle était inutile, mais c’était un camouflage pour les étrangers.» A Elli, je demandais de me décrire d’abord l’avant-maison, puis l’arrière-maison. Pour l’avant-maison, elle sut me donner des détails; il est vrai qu’elle y travaillait. Pour l’arrière-maison, sa réponse fut intéressante. Elle me déclara qu’elle y avait, en tout et pour tout, passé une seule nuit, et cela avant l’arrivée des clandestins ! Elle ajouta qu’elle ne se rappelait pas les lieux, parce qu’elle avait été très nerveuse. Or, dans le Journal, Elli passe pour venir prendre à peu près tous ses repas de midi chez les clandestins (voy. 5 août 1943: Elli arrive régulièrement à 12h45; 20 août 1943: elle arrive régulièrement à 17h30 en «annonciatrice de la liberté»; 2 mars 1944: elle fait la vaisselle avec les deux mères de famille...). Je demandais enfin à Elli de me rappeler un détail quelconque de la vie familière, une anecdote quelconque qui ne figurent pas dans le livre. Elle s’en montra totalement incapable. 60. Miep et Henk furent également incapables de me fournir le moindre détail sur la vie des clandestins. La phrase capitale de leur témoignage fut la suivante: «Nous ne savions pas exactement comment ils vivaient.» Et d’ajouter: «Nous n’avons été qu’un week-end dans l’arrière-maison; nous avons couché dans la future chambre d’Anne et de Dussel.» «Comment se chauffaient les clandestins? Peut-être au gaz.» «Le dépôt de charbon était en bas dans le magasin.» «Il n’y avait pas d’aspirateur.» «Le marchand de légumes n’apportait jamais rien à Prinsengracht.» «La «porte-armoire» a été construite bien avant l’arrivée des Frank» (!) «Moi, Miep, j’apportais les légumes tandis qu’Elli apportait le lait.» «Moi, Henk, je travaillais ailleurs que dans l’entreprise, mais, tous les jours, je venais déjeuner au bureau des filles et je venais leur parler quinze ou vingt minutes.» (Ce point parmi d’autres est en totale contradiction avec le Journal, où il est dit que Henk, Miep et Elli prennent leur déjeuner dans l’arrière-maison, avec les clandestins. Voy. 5 août 43.) Pendant tout notre entretien, Miep me donna l’impression d’être comme à la torture. Son regard me fuyait. Soudain, quand je lui permis enfin de me parler du 4 août 1944, son attitude changea du tout au tout. C’est avec un plaisir manifeste qu’elle se mit à évoquer, avec un grand luxe de détails, l’arrivée de la police et ses suites. Je notais cependant une disproportion frappante dans les détails du récit. Ces détails étaient nombreux, vivants et d’une vérité criante quand Miep évoquait ce qui lui était personnellement arrivé avec l’arrestateur autrichien Silberbauer, soit ce jour-là, soit les jours suivants Mais, dès qu’il s’agissait des Frank et de leurs compagnons d’infortune, les détails devenaient rares et flous. C’est ainsi que Miep n’avait rien vu de l’arrestation des clandestins. Elle ne les avait pas vus partir. Elle ne les avait pas vus monter dans la voiture de police, parce que cette voiture, qu’elle apercevait par la fenêtre de son bureau, «était trop près du mur de la maison». Henk avait aperçu de loin, de l’autre côté du canal, la voiture de la police, mais sans pouvoir distinguer les gens qui entraient ou sortaient. A propos des manuscrits, Miep me répéta le récit qu’elle avait fait à Schnabel. Elle me dit aussi que M. Frank, revenu en Hollande à la fin de mai 1945, vécut pendant sept ans sous leur toit. C’est seulement vers la fin de juin ou le début de juillet 1945 qu’elle lui remit les manuscrits. 61. A la suite de ces deux auditions, mon jugement devenait le suivant: «Ces trois personnes ont dû, dans l’ensemble, me dire la vérité sur leur propre vie. Il est probablement vrai qu’elles ne connaissaient pour ainsi dire pas l’arrière-maison. Il est certainement vrai que, dans l’avant-maison, la vie se déroulait à peu près comme elles me l’ont raconté (repas de midi pris ensemble dans le bureau des secrétaires; les hommes du magasin mangeant dans le magasin; menues courses alimentaires faites dans le quartier, etc.). Il est certainement vrai qu’une descente de police a eu lieu le 4 août 1944 et que Miep a eu affaire ce jour-là et les jours suivants à un Karl Silberbauer. Il est probable, d’autre part, que ces trois personnes entretenaient des relations avec la famille Frank. Dans ce cas, pourquoi répugnaient-elles si visiblement à en parler? Supposons, en effet, que les Frank et d’autres clandestins aient réellement vécu pendant vingt-cinq mois à proximité de ces trois personnes. Dans ce cas, pourquoi un tel silence?» 62. La réponse à ces questions pouvait être la suivante: les Frank et, peut-être, d’autres juifs ont effectivement vécu dans l’arrière-maison du 263 Prinsengracht. Mais ils y ont vécu tout autrement que ne le raconte le Journal. Par exemple, ils y ont vécu d’une vie sans doute discrète, mais non comme dans une prison. Ils ont pu y vivre comme tant d’autres juifs qui se cachaient soit à la ville, soit à la campagne. Ils «se cachaient sans se cacher». Leur aventure a été tristement banale. Elle n’a pas eu ce caractère rocambolesque, absurde et visiblement mensonger que M. Frank a voulu faire passer pour réaliste, authentique et vécu. Après la guerre, autant les amis de M. Frank étaient prêts à témoigner en sa faveur, autant ils hésitaient à cautionner le récit du Journal. Autant ils pouvaient se porter garants des souffrances réelles de M. Frank et de sa famille, autant il leur paraissait difficile de témoigner, en plus, de souffrances imaginaires. Kraler, Koophuis, Miep, Elli, Henk apportaient à M. Frank leur amitié; ils lui manifestaient publiquement leur sympathie comme à un homme plein de charme et, en même temps, accablé de malheurs. Ils se sentaient peut-être flattés d’être présentés dans la presse comme ses compagnons des jours d’infortune. Peut-être certains d’entre eux acceptaient-ils l’idée que, quand un homme a souffert, il a le droit moral d’exagérer un peu le récit de ses souffrances. Aux yeux de certains, le principal a pu être que M. Frank et les siens avaient eu à souffrir cruellement des Allemands; peu importaient alors les «détails» de ces souffrances. Mais la complaisance a des limites. M. Frank n’a trouvé qu’une personne pour cautionner son récit de l’existence d’un Journal. Cette personne a été son ancienne secrétaire et amie: Miep Van Santen (de son vrai nom: Miep Gies). Encore le témoignage de Miep est-il étrangement timide. Ce témoignage revient à dire qu’après l’arrestation des Frank, elle avait ramassé sur le sol d’une pièce de l’arrière-maison un journal, un livre de comptabilité, des cahiers et un certain nombre de feuilles volantes. Il s’agissait pour elle d’objets appartenant à Anne Frank. Ce témoignage, Miep ne l’a rendu sous une forme officielle, que trente ans après les faits, le 5 juin 1974, dans l’étude de Me Antoun Jacob Dragt, notaire à Amsterdam. Miep ajoutait qu’elle avait fait cette découverte avec Elli. Or, le même jour, auprès du même notaire, cette dernière déclarait qu’elle se souvenait d’avoir été là lorsque ces pièces furent découvertes, mais qu’elle ne savait plus exactement comment elles furent découvertes. La restriction est grave et elle n’a pas dû plaire à M. Frank. 63. Schnabel écrivait (voy. ci-dessus, section 50) que tous les «témoins» qu’il avait interrogés – y compris, par conséquent, Miep, Elli, Henk, Koophuis – s’étaient comportés «comme s’ils avaient eu à se protéger eux-mêmes contre la légende [d’Anne Frank]». Il ajoutait que si tous avaient lu le Journal, ils ne le mentionnèrent pourtant pas. Cette dernière phrase signifie manifestement que, dans chaque audition de témoin, c’est Schnabel lui-même qui a dû prendre l’initiative de parler du Journal. On comprend que son livre n’ait pas été publié en Hollande, sinon sous une forme tronquée et censurée: c’est en Hollande que se trouvaient les principaux «témoins». De son côté, l’article de Der Spiegel (voy., ci-dessus, section 55) prouve que d’autres «témoins» de M. Frank ont fini par avoir les mêmes réactions négatives. Les fondements du mythe d’Anne Frank – mythe qui repose sur la véracité et l’authenticité du Journal – ne se sont pas affermis avec le temps: ils se sont délabrés. Chapitre VI
64. Le «dénonciateur» et l’arrestateur des Frank: pourquoi M. Frank a-t-il voulu leur assurer l’anonymat? 65. Dès 1944, M. Frank et ses amis savaient que leur «dénonciateur» supposé s’appelait Van Maaren et leur arrestateur, Silberbauer. Van Maaren était l’un des employés de leur magasin. Silberbauer était un sous-officier du S. D. d’Amsterdam. Dans le Journal, ainsi que dans le livre susmentionné de Schnabel, Van Maaren est appelé V. M. Quant à Silberbauer, il est appelé Silberthaler dans le livre de Schnabel. Il semble qu’à la Libération, Van Maaren eut des ennuis avec la justice de son pays. Sa culpabilité ne put être prouvée, m’a dit M. Frank. «V. M. a eu assez d’ennuis comme cela et il faut le laisser tranquille», m’a-t-il déclaré. Schnabel n’a pas voulu recueillir le témoignage de V. M. Il n’a pas voulu non plus recueillir celui de l’arrestateur. 66. En 1963, la presse internationale se faisait soudain l’écho d’une nouvelle retentissante: Simon Wiesenthal venait de retrouver l’arrestateur des Frank. Il s’appelait Silberbauer. Il était fonctionnaire de police à Vienne. S. Wiesenthal n’avait pas prévenu M. Frank de ses recherches. Ce dernier, interrogé par les journalistes, déclarait qu’il connaissait depuis près de vingt ans le nom de son arrestateur. Il ajoutait que tout cette affaire était fâcheuse et que Silberbauer n’avait fait que son devoir en l’arrêtant. Miep, pour sa part, déclarait que, si elle avait employé le pseudonyme de Silberthaler pour désigner l’arrestateur, c’était sur la demande de M. Frank; ce dernier lui avait fait valoir qu’il pouvait, en effet, exister d’autres personnes portant le nom de Silberbauer et à qui, par conséquent, du tort pouvait être fait: «[De Heer Frank] had mij venocht de naam Silberthaler te noemen, omdat er misschien nog meer mensen Silberbauer heetten en die zouden wij dan in diskrediet brengen [5].» 67. Il y eut une sorte de conflit entre S. Wiesenthal et M. Frank. C’est ce dernier qui l’emporta en quelque sorte. En effet, Karl Silberbauer fut, au bout de onze mois, réintégré dans la police viennoise. Une commission de discipline, siégeant à huis clos (comme il est d’usage), le relaxa. Le jugement en commission d’appel («Oberdisziplinarkommission») fut également favorable à Silberbauer, ainsi que les conclusions d’une commission d’enquête du ministère de l’intérieur. Silberbauer avait bien arrêté les Frank au 263 Prinsengracht, mais sa participation à des «crimes de guerre contre les juifs ou les résistants» n’avait pu être prouvée. En juin 1978, j’obtins une entrevue de S. Wiesenthal dans son bureau de Vienne. A propos de cette affaire, il me déclara que M. Frank était «crazy» («piqué»). A son avis, M. Frank, dans son souci d’entretenir un culte (celui de sa fille), entendait ménager les anciens nazis, tandis que lui, S. Wiesenthal, n’avait qu’un souci: celui de voir rendre la justice. S. Wiesenthal ne connaissait pas le vrai nom du magasinier V. M. Là encore M. Frank avait fait le nécessaire: l’Institut royal de documentation (pour la seconde guerre mondiale), dirigé par son ami Louis De Jong, répondait, s’il faut en croire un journal d’Amsterdam (Trouw, 22 novembre 1963), que ce nom ne serait pas donné à M. Wiesenthal, même s’il en faisait la demande: «[...] deze naam zou men zelfs aan Mr. Wiesenthal niet doorgeven, wanneer deze daarom zou verzoeken». 68. Les autorités de Vienne n’ont pas pu m’autoriser à consulter les dossiers des commissions d’enquête. Quant à Karl Silberbauer, il est mort en 1972. Mon enquête s’est donc limitée au dépouillement de quelques journaux hollandais, allemands et français de 1963 et 1964 et à l’audition d’un témoin que je crois bien informé, de bonne foi et de bonne mémoire. Ce témoin nous a adjurés, mon accompagnateur et moi-même, de ne pas divulguer son nom. J’ai promis de taire son nom. Je ne tiendrai ma promesse qu’à demi. L’importance de son témoignage est telle qu’il me paraît impossible de le passer sous silence. Le nom de ce témoin et son adresse ainsi que le nom de mon accompagnateur et son adresse sont notés sous pli cacheté contenu dans mon annexe n° 2: «Confidentiel». 69. Voici d’abord ce que j’appellerais: «Le témoignage de Karl Silberbauer, recueilli par un journaliste hollandais de Haague Post et traduit en allemand par un journaliste juif allemand de l’Allgemeine Wochenzeitung der Juden in Deutschland [6].» Silberbauer raconte qu’à cette époque-là (4 août 1944) il avait reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui avait révélé que des juifs se tenaient cachés dans un bureau de Prinsengracht: «J’alertais alors huit Hollandais du S. D et me rendis avec eux à Prinsengracht. Je vis qu’un de mes accompagnateurs hollandais cherchait à parler à un employé mais ce dernier fit un signe de pouce vers le haut.» Silberbauer décrit comment il pénétra dans l’endroit où les juifs se tenaient cachés: «Les gens couraient en tous sens et faisaient leur valise. Un homme est alors venu vers moi et il s’est présenté comme étant Otto Frank. Il avait, disait-il, été officier de réserve de l’armée allemande. A ma question sur le temps depuis lequel ils se cachaient, Frank avait répondu: «Vingt-cinq mois». Comme je ne voulais pas le croire, poursuit Silberbauer, il prit par la main une jeune fille qui se tenait à côté de lui. Cela doit avoir été Anne. Il plaça l’enfant contre un montant de porte, qui portait des encoches à différents endroits. Je dis encore à Frank: «Quelle jolie fille vous avez là!»» Silberbauer aurait dit ensuite qu’il n’avait fait que bien plus tard le rapprochement entre cette arrestation et ce que les journaux disaient de la famille Frank. Après la guerre, la lecture du Journal le surprit fort. Il ne comprenait surtout pas comment Anne pouvait savoir que les juifs étaient gazés: «Nous ignorions tous, expliqua Silberbauer, ce qui attendait les juifs. Je ne comprends surtout pas comment Anne dans son Journal pouvait affirmer que les juifs étaient gazés.» De l’avis de Silberbauer, il ne serait rien arrivé à la famille Frank si elle ne s’était pas tenue cachée. 70. Cette interview exclusive de Silberbauer constitue un résumé assez fidèle, je pense, des propos prêtés par les journalistes à l’arrestateur de la famille Frank. Le témoignage que j’annonçais ci-dessus (section 68) confirme en gros le contenu de l’interview, à ceci près que l’épisode du pouce levé serait une pure invention. Silberbauer n’aurait rien noté de tel, pour la bonne raison d’ailleurs qu’il se serait rendu immédiatement vers l’arrière-maison. Il n’aurait fait que prendre le couloir et l’escalier, sans aucun détour vers les bureaux ou les magasins. Et, c’est là que le témoignage en question nous fournit un élément capital. On aura remarqué que, dans son interview, le policier ne précise pas comment il avait accédé à l’endroit où se tenaient les clandestins. Il ne mentionne pas l’existence d’une «porte-armoire» («ein drehbares Regal»). Or, mon témoin est tout à fait affirmatif: Silberbauer n’avait jamais rencontré rien de tel, mais... une grossière porte de bois comme on en trouve à l’entrée, par exemple, d’un grenier. Le mot propre était: «eine Holzverschlag». Le policier avait simplement frappé à cette porte et... on lui avait ouvert. Un troisième point de ce témoignage est, s’il se peut, encore plus important: Karl Silberbauer disait et répétait qu’il ne croyait pas à l’authenticité du fameux Journal parce que, selon lui, il n’avait jamais existé sur place quoi que ce fût qui ressemblât aux manuscrits que Miep prétendait avoir trouvés, jonchant le sol, une semaine après le 4 août 1944. Le policier avait l’habitude professionnelle de conduire, dès avant la guerre, arrestations et perquisitions. Un tel amas de documents ne lui aurait pas échappé. (Ajoutons ici que huit hommes l’accompagnaient et que toute l’opération avait été conduite lentement et correctement; et puis, le policier, après avoir confié la clé des lieux à V. M. ou à un autre employé, était revenu sur les lieux à trois reprises.) Silberbauer avait, affirme le témoin, l’habitude de dire que Miep n’avait, en réalité, pas joué grand rôle dans toute cette histoire (d’où le fait qu’on ne l’avait pas même arrêtée). Par la suite, Miep avait cherché à se donner de l’importance, notamment avec cet épisode de la découverte miraculeuse des manuscrits. 71. Le même témoin m’a déclaré, en présence de mon accompagnateur, que Silberbauer avait rédigé en 1963-1964 un compte rendu pour la justice de l’arrestation des Frank et que dans ce compte rendu pouvaient figurer ces détails. Un second témoin aurait certainement pu m’apporter un témoignage très précieux sur les dires de Silberbauer, mais ce second témoin a préféré se taire. Chapitre VII
72. Confrontation entre le texte hollandais et le texte allemand: voulant trop en faire, M. Frank s’est trahi; il a signé une supercherie littéraire. 73. J’ai deux textes sous les yeux. Le premier est en hollandais (H), tandis que le second est en allemand (D). Les éditeurs me disent que H est le texte original, tandis que D est la traduction de ce texte original. Je n’ai a priori aucune raison de mettre leur parole en doute. Mais la rigueur scientifique, ainsi que le bon sens et l’expérience, apprennent qu’il faut accueillir avec circonspection les dires des éditeurs. Il arrive, en effet, qu’il puisse y avoir erreur ou tromperie de leur part. Le livre est une marchandise comme une autre. L’étiquette peut tromper sur le contenu. En conséquence, je laisserai ici de côté les étiquettes qu’on me propose ou qu’on m’impose. Je ne parlerai ni de «version originale en hollandais», ni de «traduction en allemand». Je suspendrai provisoirement tout jugement. Je n’accorderai de dénomination précise à ces deux livres que sous bénéfice d’inventaire. Pour l’instant, je leur accorderai une dénomination qui soit, à la fois, égale et neutre. Je parlerai donc de textes. 74. Je vais décrire le texte H et le texte D que j’ai sous les yeux. Je vais commencer par le texte H, mais je pourrais, tout aussi bien, commencer par le texte D. J’insiste sur ce dernier point. L’ordre de succession que j’ai choisi ici ne devra impliquer aucune succession dans le temps, ni aucun rapport de filiation du type père-fils entre H et D. 75. Mon texte se présente ainsi: Anne Frank – Het Achterhuis - Dagboekbrieven – 14. Juni 1942 - 1 Augustus 1944 – 1977, Uitgeverij Contact, Amsterdam, Eerste druk 1947 – Vijfenvijftigste druk 1977. Le texte de l’auteur commence à la page 22 avec la reproduction photographique d’une sorte de dédicace signée: «Anne Frank. 12. Juni 1942». A la page 23 apparaît la première des cent soixante-neuf lettres qui composent ce «journal» auquel on a donné pour titre l’Arrière-maison. Le livre a deux cent soixante-treize pages pages. La dernière page se termine à la page 269. J’estime la longueur du texte proprement dit à environ soixante-douze mille cinq cents mots hollandais. (Pour des raisons de commodité, j’emploierai le mot de «hollandais» au lieu de celui de «néerlandais».) Je n’ai pas comparé le texte de cette cinquante-cinquième édition avec le texte de la première édition. Lors de mon enquête à Amsterdam, j’ai reçu l’assurance de MM. Fred Batten et Christian Blom qu’aucun changement n’avait été apporté aux éditions successives. Ces deux personnes appartenaient à la maison Contact et elles sont à l’origine, avec M. p. De Neve (†), de l’acceptation du manuscrit dactylographié que M. Frank avait déposé chez un interprète du nom de M. Kahn. C’est ce M. Kahn qui devait, en 1957, servir d’accompagnateur et d’interprète à Ernst Schnabel quand ce dernier est venu voir Elli à Amsterdam. 76. Mon texte D se présente ainsi: Das Tagebuch der Anne Frank / 12. Juni 1942 – 1. August 1944 / 1977, Fischer Taschenbuch Verlag / N° 77 / Ungekürzte Ausgabe / 43. Auflage 1293000-1332000 / Aus dem Hollandischen übertragen von Anneliese Schütz / Hollandische Original-Ausgabe «Het Achterhuis», Contact, Amsterdam. Après la page de dédicace, la première des lettres apparaît à la page 9. Il y a cent soixante-quinze lettres. La dernière lettre se termine à la page 201. J’estime la longueur du texte à environ soixante-dix-sept mille mots allemands. Le livre a deux cent trois pages. Ce «livre de poche» a eu sa première édition en mars 1955. Fischer a obtenu la Lizenzausgabe de la maison Lambert Schneider, de Heidelberg. 77. Je relève un premier fait troublant. Le texte H a cent soixante-neuf lettres, tandis que le texte D, qui se présente comme la traduction du texte H, possède cent soixante-quinze lettres. 78. Je relève un deuxième fait troublant. Si je pars à la recherche des lettres supplémentaires de D, ce n’est pas six lettres que je découvre (175 – 169 = 6), mais sept. L’explication est la suivante: le texte D ne possède pas la lettre du «6 december 1943» du texte H ! 79. Je relève un troisième fait troublant. La langue hollandaise et la langue allemande étant très proches l’une de l’autre, la traduction ne devrait pas être sensiblement plus longue que le texte qu’on a traduit. Or, même si je fais abstraction du nombre de mots qui composent les sept lettres en question, je suis très loin d’atteindre une différence de 4.500 mots environ (D 77.000 – H 72.500 = 4.500). C’est donc que le texte D, même quand il possède des lettres en commun avec le texte H, les possède sous une autre forme: en tout cas, sous une forme plus longue. Voici ma démonstration, chiffres à l’appui: a) Lettres que D possède en plus:
[Erreur de ma part (R. Faurisson): La lettre du 12 mai 1944 (380 mots) ne manque pas au texte H. Elle existe dans le texte H mais datée: 11 mai. Ce qui manque au texte H, c’est la lettre du 11 mais qui, dans le texte D, a... 520 mots !] b) Lettre que D possède en
moins:
c) Mots que D possède en
plus, à quantité égale de lettres:
4.500 - (3.170 - 380) = 1.710 mots. En réalité, ainsi qu’on le verra par la suite, ce chiffre ne représente qu’une faible partie du surplus de mots que contient D. Mais, en attendant, pour ne pas sembler trop attaché aux calculs, je vais donner des exemples précis portant sur cinq cent cinquante mots environ. 80. Parmi les lettres que H et D possèdent apparemment en commun, voici des lettres (parmi beaucoup d’autres) où D possède des fragments supplémentaires, c’est-à-dire des fragments dont le lecteur hollandais n’a jamais eu connaissance:
81. Parmi les lettres que H et D possèdent apparemment en commun, voici des lettres (parmi beaucoup d’autres) où D possède des fragments en moins, c’est-à-dire des fragments dont le lecteur allemand n’a jamais eu connaissance:
Un fait remarquable est que les fragments qui manquent sont très nombreux et très courts. Par exemple, la lettre du 20. Augustus 1943 est amputée de 19 mots dans le texte allemand, et ces 19 mots se répartissent ainsi: 3 + 1 + 4 + 4 + 7 = 19. 82. Je relève un quatrième fait troublant. Ce fait est indépendant des quantités qui sont en plus ou moins. Ce fait, c’est que des fragments de lettres voyagent en quelque sorte d’une lettre à l’autre, du texte H au texte D. Par exemple, tout l’avant-dernier alinéa de la lettre H de Donderdag, 27. April 1944 se trouve au dernier alinéa de la lettre D de Dienstag, 25. April 1944. Le 7 janvier 1944, le dernier alinéa de H devient, dans D, le 6e alinéa avant la fin. Le 27 avril 1944, l’avant-dernier alinéa de H devient, dans D, le dernier alinéa de la lettre du 25 avril 1944. 83. Je relève un cinquième fait troublant. Il n’est plus question, cette fois-ci, d’additions, de soustractions, de translations, mais d’altérations qui sont le signe d’incompatibilités. Je veux dire ceci: à supposer que je laisse de côté tous les traits par lesquels H et D diffèrent si visiblement l’un de l’autre, et à supposer que je me tourne maintenant vers ce que j’appellerais «le reste» (un «reste» qui, d’après les éditeurs, devrait constituer «le fonds commun», «la partie identique»), j’ai la surprise de constater que, d’un bout à l’autre de ces deux livres, à de rarissimes exceptions près, ce «reste» est très loin d’être identique. Comme on va le voir par les exemples qui suivent, ces incompatibilités ne peuvent s’attribuer à une traduction maladroite ou fantaisiste. La même lettre du 10 mars 1943 donne, pour H, «Bij kaarslicht» («A la lueur des bougies») et pour D, «Bei Tage» («A la lueur du jour»); «een nacht» («une nuit») pour «Eines Tages» («Un jour»); «verdwenende dieven» («les voleurs disparurent») pour «schwieg der Larm» («le bruit se tut»). Le 13 janvier 1943, Anne dit qu’elle se réjouit à la perspective d’acheter après la guerre des «nieuwe kleren en schoenen» («des vêtements et des souliers neufs»); cela dans le texte H, car dans le texte D elle parle de «neue Kleider und Bücher» (de «vêtements et livres neufs»). Le 18 mai 1943 Mme Van Daan est «als door Mouschi gebeten» («comme mordue par [le chat] Mouschi»), cela dans le texte H, car dans le texte D elle est «wie von einer Tarantel gestochen» («comme piquée par une tarentule»). Selon que l’on consulte H ou D, un homme est un «fascist» ou bien un «Riese» («colosse») (20 octobre 1942). De «jolies petites chaises» («fijne stoeltjes») se retrouvent «coûteux mobilier» («kostbaren Mobel») (29 octobre 1942). Des «haricots rouges et des haricots blancs» («bruine en witte bonen») se retrouvent «haricots blancs» («weisse Bohnen») (12 mars 1943). Des sandales pour 6,50 florins deviennent des sandales sans indication de prix (ibidem), tandis qu’ «un nombre de 5 otages» («een stuk of 5 gijzelaars») est devenu «un certain nombre de ces otages» («eine Anzahl dieser Geilseln»), et cela dans la même lettre du 9 octobre 1942 où «les Allemands» («Duitsers») ne sont plus que «ces Allemands» («diese Deutschen») très particuliers que sont les nazis (voy., ci-dessus, la section 54). Le 17 novembre 1942, Dussel retrouve les Frank et les Van Daan dans leur cachette. Le texte H dit que «Miep l’aida à quitter son pardessus» («Miep liet hem zijn jas uitdoen»); apprenant que les Frank sont là, «il faillit s’évanouir d’étonnement» et, dit Anne, il resta «muet» «comme s’il voulait d’abord un peu, un moment, lire la vérité sur nos visages» («viel hij haast flauw van verbazing [...] sprakeloos [...] alsof hij eerst even goed de waarheid van onze gezichten wilde lezen»); mais le texte D, lui, dit de Dussel qu’il «devait quitter son manteau» et décrit ainsi son étonnement: «il ne pouvait comprendre [...] il ne pouvait en croire ses yeux» («Er mußte den Mantel ausziehen [...] konnte er es nicht faßen [...] und wollte seinen Augen nicht trauen»). Une personne qui souffrait de l’œil et qui «se le bassinait avec de la camomille» («bette het [...] met kamillen-the») devient une personne qui se «faisait des compresses» («machte Umschläge») (10 décembre 1942). Là où «Papa» seul attend («Pim verwacht»), c’est «nous» tous qui attendons («Wir erwarten») (27 février 1943). Là où les deux chats reçoivent leurs noms de Moffi et de Tommi, selon qu’ils paraissent «boche» ou «angliche», «Tout comme en politique» («Net als in de politiek»), le texte D dit qu’ils sont nommés «selon leurs dispositions d’esprit» («Ihren Anlagen gemäß») (12 mars 1943). Le 26 mars 1943, des gens qui «étaient très en éveil» («waren veel wakker») deviennent des gens qui «étaient dans une peur sans fin» («schreckten immer wieder auf»), «un coupon de flanelle» («een lap flanel») devient une «housse à matelas» («Matratzen-schoner») (1er mai 1943). «Faire grève» («staken») «dans de nombreux domaines» («in viele gebieden») devient: «on sabote de toutes parts» («an allen Ecken und Enden sabotiert wird») (ibidem). Un «lit pliant» («harmonicabed») se retrouve «chaise longue» («Liegestuhl») (21 août 1942). La phrase suivante: «Le feu des canons ne nous faisait plus rien, notre peur s’en était allée» («Het kanonvuur deerde ons niet meer, onze angst was weggevaad») devient: «et la situation, pour aujourd’hui, était sauve» («und die Situation war für heute gerettet») (18 mai 1943). 84. Ces quelques exemples d’incompatibilités, je les avais relevés au cours d’un simple sondage, qui ne dépassait pas la cinquante-quatrième lettre du texte H (18 mai 1943). Je décidais alors de procéder à un sondage beaucoup plus serré, portant sur les seize lettres allant du 19 juillet au 29 septembre 1943 (lettres 60 à 75). Aux incompatibilités, je décidais d’ajouter les additions et les soustractions. Le résultat fut tel que la simple énumération des différences relevées demanderait plusieurs pages dactylographiées. Je ne peux le faire ici. Je me contenterai de quelques exemples que voici, en évitant les plus frappants parce que, malheureusement, les plus frappants sont aussi les plus longs à citer. – Lettre du 19
juillet 1943: «parents tués» («dode
ouders») devient: «parents»
(«Eltern»);
– lettre du 23 juillet 1943: D possède, en plus au moins 49 mots + 3 mots; – lettre du 26 juillet 1943: D possède, en plus, 4 + 4 mots et, en moins, 2 mots: «over Italië»; – lettre du 29 juillet 1943: D possède 20 mots en moins, et «20 ans» («twintig jaar») deviennent «25 ans» («25 Jahren»); – lettre du 3 août 1943: cette lettre D de 210 mots manque totalement dans H; – lettre du 4 août 1943: H donne «divan» et D donne «chaise-longue». Dans H une puce «flotte» («drijft») dans l’eau de lavage, «seulement dans les mois ou les semaines de chaleur» («allen in de hete maanden of weeken») tandis que pour D cette puce doit y «laisser la vie» («sein Leben lassen»), sans autre précision de temps. H donne: «manier des cotons [imbibés] d’eau oxygénée (cela sert à blanchir un duvet noir de moustache)» («waterstofwatjes hanteren [dient om zwarte snorharen te bleken]») tandis que D donne simplement: «et d’autres petits secrets de toilette...» («und andere kleine Toilettengeheimnisse...».) La comparaison de «comme un ruisseau tombant d’une montagne» («als een beekie van een berg») devient «comme un ruisseau sur les cailloux» («wie ein Bächlein über die Kiesel»). Des «verbes irréguliers français»: c’est à quoi pense Anne dans le texte H («aan Franse onregelmatige wekworden») mais, dans le texte D, ce ne peut être qu’à des verbes irréguliers hollandais, semble-t-il, puisque elle dit qu’elle «rêve» («träumeich») de «verbes irréguliers» («vonunregelmassigen Verben»). Le texte D se contente de: «Drring, en haut [sonne chez les Van Daan] le réveil» («Krrrrr, oben der Wecker») tandis que H donne: «Drring... le petit réveil [sonne], qui à chaque heure du jour (quand on le lui demande ou parfois aussi sans cela) peut élever sa petite voix.» («Trrr... het wekkertje, dat op eIk uur van de dag [als men er naar vraagt of soms ook sonder dat] zijn stemmetje kan verheffen»); – lettre du 5 août 1943: toute la description du repas habituel, de 13 h 15 à 13 h 45, et de ses suites est l’objet de différences importantes; d’ailleurs, ce qui, par H, est annoncé comme «La grande distribution» est annoncé par D comme «Petit lunch» («De grote uitdeling» - «Kleiner Lunch»: je souligne les adjectifs; l’ironie possible, mais non certaine, de H a disparu dans D). Des trois «divans» de H, il ne subsiste plus qu’un «divan» dans D; – lettre du 7 août 1943: cette lettre constitue une énigme tout à fait intéressante. Très longue, elle commence, dans le texte D, par 9 lignes de présentation d’un conte de soixante-quatorze lignes intitulé Kaatje ainsi que d’un autre conte intitulé Katrientje, de 99 lignes. Cette lettre est totalement absente de H. Les Hollandais, pour leur part, ne connaissent ces contes que par un livre distinct intitulé Contes, où figurent, d’ailleurs, d’autres «contes inédits» d’Anne Frank; – lettre du 9 août 1943: parmi bien d’autres curiosités, figurent «des lunettes d’écaille» («een hoornen bril») qui deviennent «des lunettes d’écaille fumées» («eine dunkle Hornbrille») dans le texte D; – lettre du 10 août 1943: le «matériel de guerre» de H devient les «canons» («Kanonen») de D. La phrase concernant la cloche de Westertoren est entièrement différente. Et, surtout, D possède un épisode de 140 mots qui n’apparaît pas dans H. Anne, qui a reçu des souliers neufs, y raconte une série de mésaventures qui lui seraient arrivées le même jour: elle s’est piqué le pouce droit avec une grosse aiguille, elle s’est cogné le front contre la porte de l’armoire; à cause du bruit provoqué, elle a reçu un «savon» («Ruffel»); elle n’a pas pu se rafraîchir le front, parce qu’il ne fallait pas faire couler d’eau, elle a eu une grosse bosse à l’œil droit; elle s’est encastré un orteil dans l’aspirateur; son pied s’est infecté, il est tout gonflé. Résultat: Anne ne peut mettre ses jolis souliers neufs. (On aura noté ici la présence d’un aspirateur en un lieu où le silence devrait être constamment de rigueur); – lettre du 18 août 1943: parmi 9 différences, on voit des «haricots» («bonen») se transformer en petits pois («Erbsen»); – lettre du 20 août 1943: je ne retiendrai qu’un exemple de différence; il concerne le pain; le récit est sensiblement différent et, d’ailleurs, pour H, ce pain se trouve dans deux emplacements successifs: d’abord l’armoire d’acier du bureau donnant sur la rue (dans l’avant-maison), puis l’armoire de cuisine de l’arrière-maison («stalen kast», «voorkantoor» - «keukenkast»), tandis que D ne cite que le premier emplacement, sans préciser le second; le malheur est que le premier emplacement cité par D est une simple armoire situé dans le bureau donnant sur... la cour: le bureau de Kraler, et non celui de Koophuis («le pain, qui chaque jour est placé pour nous dans la pièce de Kraler») ! (Sur les bureaux respectifs de Kraler et de Koophuis, voy. la lettre du 9 juillet 1942.) Il y a là une grave contradiction matérielle entre les deux textes, avec changements de mots, de phrases, etc.; – lettre du 23 août 1943: parmi d’autres curiosités, «lire ou étudier» («lesen of leren») devient «lire ou écrire» («lesen oder schreiben»), «Dickens et le dictionnaire» («Dickens en het woordenbook») deviennent seulement «Dickens», des «traversins» («peluwen») se transforment en «édredons» («Plumeaus») (en hollandais «édredon» se serait dit «[eider] dons» ou bien «dekbed»); – lettre du 10 septembre 1943: parmi cinq différences, je note que l’émission, chaque jour tant attendue, de Radio-Oranje (voix de la Hollande d’outre-mer) commence à 8 h 15 pour H et à 8 h pour D; – lettre du 16 septembre 1943: «dix valérianes» («tien Valeriaantjes») deviennent «dix des petites pilules blanches» («zehn von den kleinen weissen Pillen»). «Un visage allongé et une bouche tombante» («een uitgestreken gezicht en neerhangende mond») deviennent «une bouche pincée avec les plis du souci» («einen zusammengekniffenen Mund und Sorgenfalten»). L’hiver comparé à un obstacle redoutable, un hiver «mordant», qui est là comme un «gros bloc de rocher» («het grote rotsblok, dat winter heet»), n’est plus qu’un simple hiver («dem Winter»). Un «pardessus» («jas») devient «chapeau et canne» («Hut und Stock»). Une phrase de vingt-quatre mots, prétendant décrire une scène pittoresque, se trouve réduite à cinq mots allemands. A l’inverse, six mots hollandais deviennent treize mots allemands d’un sens très différent; – lettre du 29 septembre 1943: «un père grognon» («een mopperenden vader») devient «le père qui n’est pas d’accord avec son choix» («den Vater, der nicht mit ihrer Wahl einverstanden ist»). Énergiquement («energiek») devient «ganz kalt und ruhig» («de façon tout à fait froide et calme»), etc. 85. Inutile, je pense, de poursuivre une telle énumération. Il n’est pas exagéré de dire que la première lettre du recueil nous donne, en quelque sorte, le ton de l’ensemble. Dans cette courte lettre, les Hollandais apprennent que, pour son anniversaire, Anne a reçu «une petite plante» («een plantje»). Les Allemands ont le privilège d’apprendre que cette plante était «un cactus» («eine Kaktee»). En revanche, les Hollandais savent qu’Anne a reçu «deux branches de pivoines», tandis que les Allemands doivent se contenter de savoir qu’il y a eu «quelques branches de pivoines» («einige Zweige Pfingstrosen»). Les Hollandais ont le droit à la phrase suivante: «tels étaient, ce matin-là, les enfants de Flore qui se tenaient sur ma table» («dat waren die ochtend de kinderen van Flora die op mijn tafel stonden»). Dans le texte allemand, la table a disparu, ainsi que «les enfants de Flore» (curieuse expression stéréotypée sous la plume d’un enfant de treize ans; on l’attendrait plutôt d’un adulte qui cherche laborieusement et ingénument à «fleurir» son style). Les Allemands ont simplement droit à: «Tels étaient, pour commencer, les fleurs offertes en guise de compliments» («Das waren die ersten Blumengrüße»). Les Hollandais apprendront qu’Anne, ce jour-là, offrira à ses professeurs et à ses camarades de classe «des petits-beurre» («boterkoekjes»). Les Allemands auront droit à des «bonbons» («Bonbons»). Le «chocolat», présent pour les Hollandais, disparaîtra chez les Allemands. Plus surprenant: un livre qu’Anne pourra s’acheter avec l’argent qui vient de lui être donné en ce dimanche 14 juin 1942 devient, dans le texte allemand, un livre qu’elle s’est déjà acheté («zodat ik me [...] kan kopen» / «habe ich mir [...] gekauft»). 86. En revanche, la dernière lettre du recueil est identique dans les deux textes. Cela nous confirme, s’il en était besoin, que la traductrice allemande – s’il fallait parler de «traduction» – était fort capable de respecter le texte hollandais. Mais il est trop évident maintenant qu’on ne saurait parler de traduction, ni même d’ «adaptation». Est-ce traduire, est-ce «adapter» que de mettre jour pour nuit (10 mars 1943)? Livres pour souliers (13 janvier 1943)? Bonbons pour petits-beurre (14 juin 1942)? Colosse pour fasciste (20 octobre 1942)? «Bougies» se traduit-il par «jour» et «chat» par «tarentule»? «Flotter» par «mourir»? «Grand» par «petit» (4 août 1943)? Il n’y a que les prestidigitateurs pour transformer un pardessus en un chapeau et en une canne. Avec Mme Anneliese Schütz et M. Frank, la table disparaît (14 juin 1942) et l’escalier se dérobe (la lettre hollandaise du 16 septembre 1943 mentionne un très curieux escalier, qui conduirait directement chez les clandestins: «die direct naar boven leidt»). La réserve de pain change de place. Ce qui est derrière se retrouve devant (bureau de Kraler). Les chiffres apparaissent et disparaissent. Les heures changent. Les visages se transforment. Les événements se multiplient ou disparaissent. Les êtres comme les choses sont sujets à éclipses et à transformations soudaines. Anne, pourrait-on dire, sort de la tombe pour venir allonger un de ses récits ou pour le raccourcir; parfois, elle en écrit un autre ou bien elle le restitue au néant. 87. Dix ans après sa mort, le texte d’Anne continue de se transformer. Les éditions Fischer éditent en livre de poche, en 1955, son Journal sous une forme «discrètement» remaniée. Le lecteur pourra notamment comparer les lettres suivantes: – 9 juillet 1942:
«Hineingekommen... gemalt war» (= 25 mots)
remplacé par: «Neben... gemalt war» (= 41 mots).
Apparition d’une porte !
– 11 juillet 1942: «bange» remplacé par «besorgt»; – 21 septembre 1942: «gerügt» remplacé par «gescholten» et «drei Westen» se transformant en «drei Wolljacken»; – 27 septembre 1942: «mit Margot bin ich mehr so intim» devient: «mit Margot verstehe mich nicht sehr gut»; – 28 septembre 1942: «bestürzt» remplacé «erschüttert»; – 7 novembre 1942: «ohne den Hergang zu kennen» devient: «ohne zu wissen, worum es ging» et «Er ist mein Ideal» devient: «Er ist mein leuchtendes Vorbild». Cette dernière transformation du texte ne manque pas de saveur, si l’on sait qu’il s’agit ici du père d’Anne. M. Frank n’est plus un «idéal» pour sa fille, mais «un modèle lumineux» ! Autre changement: «und das Ärgste ist» devient: «und am schlimmsten ist»; – 7 août 1943: j’ai signalé plus haut (voy. la section 84) cette très longue lettre qui contient deux contes. Je suppose que ces contes existaient dans le manuscrit qui leur était réservé et qu’ils ont été abusivement insérés dans le Journal. Dans ce cas, on se demande qui a rédigé les neuf lignes d’introduction, où Anne demande notamment à sa correspondante si elle croit que ses contes vont plaire aux enfants. 88. Ces dernières transformations se sont faites d’un texte allemand à un autre texte allemand. Elles ne sauraient donc avoir l’excuse d’une traduction maladroite ou fantaisiste. Elles prouvent que l’auteur du Journal – j’appelle ainsi, tout normalement, le responsable du texte que je lis – vivait encore en 1955. De la même façon, en découvrant le texte allemand de 1950 (édition Lambert Schneider), je découvrais que l’auteur du Journal (un auteur particulièrement prolifique) vivait encore en 1950. Cet auteur ne pouvait pas être Anne Frank qui, comme on le sait, est morte en 1945. 89. Dans mes comparaisons de textes, j’ai suivi l’ordre chronologique officiel. J’ai montré comment le texte imprimé en hollandais (1947) jurait avec le premier texte imprimé allemand (1950), lequel, à son tour, subissait d’étranges métamorphoses dans le second texte imprimé allemand (1955). Mais, scientifiquement, rien ne prouve que l’ordre chronologique de parution reflète l’ordre chronologique de composition. Par exemple, il a pu exister des manuscrits en allemand qui ont précédé la confection des manuscrits hollandais. Il se peut que le modèle ou le canevas «princeps» ait été rédigé en allemand. Il se peut qu’ensuite ce modèle ou ce canevas, après avoir donné naissance à un texte traduit en hollandais, ait aussi donné naissance à un texte allemand entièrement rédigé. Il se peut que durant plusieurs années, des textes très différents aient ainsi vécu en symbiose. Ce phénomène s’appelle le phénomène de contamination. Il est cependant clair que M. Frank ne peut invoquer cet argument de la contamination des textes, puisqu’il n’existe, d’après lui, qu’un seul texte: celui des manuscrits hollandais. Pour certaines périodes des vingt-cinq mois de Prinsengracht, il est possible que les différents manuscrits du Journal nous proposent des variantes; encore ces variantes ne pourraient-elles pas fournir les innombrables absurdités et incompatibilités que nous avons vues. Pour d’autres périodes, comme celle de toute une année (du 6 décembre 1942 au 21 décembre 1943), où, du propre aveu de M. Frank, on ne dispose que d’une version, il ne devrait pas exister la moindre variante, pas le moindre désaccord entre le texte H et le texte D: C’est pour cette raison que j’ai choisi dans cette période le plus grand nombre de mes exemples d’incompatibilités. 90. Je n’ai noté, dans mes sondages, ni plus, ni moins d’incompatibilités pour cette période que pour les autres. D’une façon constante, le texte H nous présente une Anne Frank qui a, sinon les traits, du moins le stéréotype de la jeune adolescente, tandis que le texte D nous propose le stéréotype de l’adolescente déjà proche, par certains côtés, de la femme mûre. Il y a, dans le texte D, des passages qui sont incompatibles avec les passages correspondants du texte H, et même formellement incompatibles avec toute la substance de tout le texte H. On atteint là au summum de l’intolérable dans la manipulation des textes. Voici, par exemple, la lettre du 5 janvier 1944. Anne confesse qu’avant son temps de clandestinité, c’est-à-dire, avant l’âge de treize ans, il lui est arrivé, passant la nuit chez une amie, d’éprouver le besoin de l’embrasser: «J’ai eu un fort besoin de l’embrasser et je l’ai d’ailleurs fait» («een sterke behoefte had haar te zoenen en dat ik dat ook gedaan heb»). Dans le texte D, apparaît une fille de treize ans sensiblement plus délurée. Ici, Anne a demandé à sa camarade d’une nuit si, en témoignage de leur amitié, elles ne pouvaient pas se palper réciproquement les seins. Mais la camarade avait refusé. Et Anne, qui paraît avoir de la pratique en la matière, ajoute: «je trouvais toujours agréable de l’embrasser et je l’ai fait» («fragte ich sie, ob wir als Beweis unserer Freundschaft uns gegenseitig die Brüste befühlen wollten, aber sie weigerte sich. Ich fand es immer schön, sie zu küssen, und habe es auch getan»). Sur la sensibilité sexuelle d’Anne, je recommande également la lecture comparée des textes H et D du 7 janvier 1944. Il est étonnant qu’on ait privé le lecteur hollandais de tant de révélations réservées par M. Frank et Anneliese Schütz à... la grand-mère d’Anne, qui était si «âgée» (voy. ci-dessus, la section 54). Que de révélations encore dans le texte D sur des goûts musicaux ou sur des connaissances musicales que les Hollandais n’avaient pas le droit de connaître (pour quelle raison, au fait?) ! Le texte D de la lettre du 9 juin 1944 nous réserve l’exclusivité d’une dissertation de deux cents mots sur la vie de Liszt (traité, par une Anne très féministe, de «coureur de jupons» – «Schürzenjager»), sur Beethoven, Wagner, Chopin, Rossini, Mendelsohn; de nombreux autres noms sont mentionnés: H. Berlioz, Victor Hugo, Honoré de Balzac... La lettre du 20 février 1944 (deux cent vingt mots) est absente de l’édition H. Elle contient pourtant des éléments d’une importance capitale à bien des points de vue. Dussel a pour habitude de siffler «das Violin-Konzert von Beethoven»; l’emploi du temps du dimanche nous est révélé; il faut reconnaître qu’un point, au moins, de cet emploi du temps est plus que troublant: M. Frank est montré en salopette, à genoux brossant le tapis avec un tel élan que toute la chambre en est remplie de nuages de poussière («Vater liegt im Overall auf den Knien und bürstet den Teppich mit solchem Elan, daß das ganze Zimmer in Staubwolken gehüllt ist»). Outre le bruit que provoquerait une telle opération dans un lieu où, même la nuit, quand les voisins ne sont pas là, il ne faut pas tousser, il est manifeste que la scène est décrite par quelqu’un qui n’a pu la voir: un tapis n’est jamais ainsi brossé sur le sol d’une chambre, à l’emplacement même où il s’est empoussiéré. Dans la lettre du 3 novembre 1943, un fragment de cent vingt mots, qui manque au texte H, nous révèle une autre affaire de tapis brossé chaque soir par Anne dans l’ «Ofenluft» (à l’air libre), et cela parce que l’aspirateur («Der Staubsauger») «ist kaputt» (ce fameux aspirateur qui, pour M. Frank, ne pouvait pas avoir existé, voy. ci-dessus, la section 37). Sur les connaissances ou les idées d’Anne en matière d’événements historiques ou politiques, on fera des découvertes dans les lettres des 6 juin, 13 juin et 27 juin 1944. Sur le caractère de Peter, on aura des révélations dans la lettre du 11 mai 1944. Cette lettre de 520 mots n’existe pas dans le texte H. Et pourtant, dans le texte H, on trouve une lettre à cette date du 11 mai; cependant le texte correspondant est daté, dans le texte D, du 12 mai ! Peter défie sa mère en l’appelant «la vieille» («Komm mit, Alte !»). Rien à voir avec le Peter du texte H ! 91. Il serait intéressant de soumettre à l’analyse de psychologues ou de psychiatres chacun des personnages principaux du texte H et du texte D. Anne, en particulier, apparaîtrait sous des traits profondément contradictoires. Mais il s’agit là d’une pure hypothèse. Je pense en effet que ces analystes verraient qu’Anne n’a pas plus de consistance réelle qu’une invention de toutes pièces. Les quelques prétendues descriptions d’Anne que j’ai pu rencontrer m’ont surtout convaincu que leurs auteurs avaient lu le Journal très superficiellement. Il est vrai que la platitude de leurs descriptions pouvait s’expliquer par la platitude du sujet décrit. Le stéréotype appelle le stéréotype, comme le mensonge appelle le mensonge. 92. La langue et le style de H s’efforcent d’être caractéristiques d’une jeune adolescente naïve et empruntée. La langue et le style de D s’efforcent d’être caractéristiques d’une adolescente déjà proche, par certains côtés, de la femme mûre et libérée. Il y a là une évidence qu’illustrent à eux seuls les fragments que j’ai cités, des fragments que je n’ai pourtant pas choisis en vue d’étudier la langue et le style des deux Anne Frank. 93. M. Frank s’est livré à des affabulations. Cela se constate facilement, quand on voit comment il a transformé le texte imprimé allemand de 1950 (Lambert Schneider) pour en faire le texte imprimé Fischer (1955). C’est à cette occasion, notamment, qu’il fait dire à sa fille Anne que son père est son «idéal» (version 1950); puis, réflexion faite, qu’il est son «modèle lumineux» (version 1955). Ce goût de l’affabulation n’est pas venu d’un seul coup à M. Frank. Il avait, nous dit un ancien maître d’école d’Anne, l’innocente manie de composer «avec sa fille» des récits et des poèmes («manchmal die Geschichten und Gedichte... die sie mit ihrem Vater zusammen gemacht hatte [7].»). Cela se passait vers 1940. Anne avait onze ans et son père cinquante et un ans. En 1942, M. Frank, ancien banquier a Francfort et ancien commerçant et homme d’affaires à Amsterdam, prenait une retraite forcée à l’âge de cinquante-trois ans. Je ne pense pas que le goût d’écrire lui ait alors passé dans ses longues journées d’inactivité. En tout cas, le Journal ne nous renseigne guère sur ce que M. Frank faisait de ses journées. Mais qu’importe ! M. Frank est un affabulateur qui s’est lui-même trahi. Le drame des affabulateurs, c’est qu’ils rajoutent à leurs affabulations. Ils ne cessent de retoucher, de remanier, de retrancher, de corriger. Ce faisant, ils finissent par susciter la méfiance de certains. Et c’est un jeu d’enfant pour ceux-là de prouver l’affabulation. Il est très facile de confondre M. Frank. Il suffit d’avoir sous la main l’édition H et l’une des deux différentes éditions D. Il suffit de lui rappeler qu’aux Hollandais il a déclaré par écrit: «Je vous garantis qu’ici, à telle date, Anne a écrit: jour ou souliers ou petits-beurre ou fasciste ou grand», tandis qu’aux Allemands il est allé déclarer par écrit à propos des mêmes lieux et des mêmes dates: «Je vous garantis qu’Anne a écrit: nuit ou livres ou bonbons ou colosse ou petit». Si M. Frank a dit la vérité dans le premier cas, il a affabulé dans le second cas. Et vice-versa. Il a affabulé ou bien ici, ou bien là. Ou encore – et c’est le plus probable – il a affabulé ici et là. De toute façon, on ne pourra jamais prétendre que M. Frank, dans cette affaire du Journal, est un homme qui a dit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. 94. Le Journal ne peut, en aucune façon, être authentique. La consultation de manuscrits prétendument authentiques est superflue. En effet, aucun manuscrit au monde ne pourrait attester qu’Anne Frank a réussi la miraculeuse prouesse d’écrire deux mots à la fois et – qui plus est – deux mots de significations incompatibles, et – qui mieux est – deux textes tout entiers à la fois, et qui sont la plupart du temps totalement contradictoires. Il est bien entendu que tout texte imprimé peut avoir un apparat critique avec ses variantes, ses scolies, ses indications de l’existence d’interpolations possibles. Mais j’ai déjà dit (voy. ci-dessus, la section 88) que, là où l’on ne dispose que d’un manuscrit, il n’y a plus de variantes possibles (à moins de cas d’espèce: difficultés de déchiffrement d’un mot, erreurs d’éditions précédentes). Et quand on dispose de plusieurs manuscrits (deux, tout au plus, pour certaines périodes du Journal; peut-être trois dans des cas très limités), il suffit d’éliminer ces périodes et ces cas pour s’en tenir strictement aux périodes et aux cas où il a fallu se contenter d’un seul manuscrit (ici, la période du 6 décembre 1942 au 21 décembre 1943). 95. Dans l’hypothèse, désormais inconcevable, où il existerait un manuscrit authentique, je dis qu’aucun des textes imprimés ne peut prétendre reproduire le texte de ce manuscrit. Le tableau suivant établit, en effet, que l’édition Fischer de 1955 arrive en 8e position dans l’ordre de succession des divers états du Journal. Pour la compréhension de ce tableau, on se reportera, notamment, aux sections 52 et 53. Tableau chronologique («officiel») des états successifs du texte du Journal I. - Manuscrits d’Anne
Frank;
II. - Abschrift (copie) d’Otto Frank, puis d’O. Frank et Isa Cauvern; III. - Neufassung der Abschrift (nouvelle version de la copie) d’O. Frank et d’Isa Cauvern; IV. - Neu-Neufassung der Abschrift d’Albert Cauvern; V. - Neu-Neu-Neufassung d’Otto Frank; VI. - Neu-Neu-Neu-Neufassung d’Otto Frank et des «censeurs»; VII. - Éditions Contact (1947); VIII. - Éditions Lambert Schneider (1950), radicalement différente de la précédente et même incompatible avec celle- là; IX. - Éditions Fischer (1955) reprenant la précédente sous une forme «discrètement» (?) remaniée et retouchée. On pourrait, bien sûr, prétendre que (V) n’était peut-être qu’une très fidèle mise au net de (IV). De même pour (VII) par rapport à (VI). Ce serait supposer que M. Frank, qui remaniait le texte à tout instant, se serait subitement abstenu de le faire au moment de recopier, sans témoin, le texte (IV), et au moment de la correction probable des épreuves d’imprimerie pour (VII). Personnellement, je tiens ces 9 étapes pour un minimum auquel il faut bien ajouter une, deux ou trois «Abschrift» pour le texte (VIII). 96. Le seul intérêt d’une étude des manuscrits qui sont, prétendument, d’Anne Frank serait de faire apparaître des éléments encore plus accablants pour M. Frank: par exemple, des lettres ou des fragments de lettres qui n’ont jamais été publiés (les raisons de cette non-publication seraient à rechercher de près sans se fier aux raisons données par M. Frank et qui ont toujours une coloration sentimentale très suspecte); par exemple aussi, des dénominations très variables pour les «correspondantes» d’Anne (l’idée de la montrer s’adressant toujours à la même «chère Kitty» semble une idée tardive), etc. 97. Le raisonnement qui consisterait à prétendre que, dans le Journal, il existerait tout de même un fond de vérité serait un raisonnement sans valeur. D’abord parce qu’il faudrait connaître cette vérité ou pouvoir la distinguer dans le fatras des affabulations certaines; le mensonge n’est, le plus souvent, que l’art d’accommoder la vérité. Ensuite, parce qu’une œuvre de l’esprit (comme, par exemple, la rédaction d’un «journal») ne se définit pas par un fond, mais par un ensemble de formes: les formes d’une expression écrite, les formes qu’un individu lui a données une fois pour toutes, pour le meilleur ou pour le pire. 98. Le raisonnement qui consisterait à dire qu’il n’y a eu que quelques centaines de modifications entre tel et tel état du Journal est fallacieux. Le mot de «modifications» est trop vague. Il permet, au gré de chacun, toutes les condamnations ou, surtout, toutes les excuses. De plus, une modification peut porter, on l’a vu, sur un seul mot ou sur un texte de mille six cents mots ! 99. Pour ma part, j’ai relevé plusieurs centaines de modifications, ne serait-ce qu’entre le texte hollandais et n’importe lequel des deux textes – différents entre eux – qui ont été publiés en Allemagne. Ces modifications, je les appelle: additions, soustractions, translations et altérations (par substitutions d’un mot à un autre, d’un groupe de mots à un autre, ces mots et ces groupes de mots étant incompatibles entre eux, quand bien même, par exception rarissime, le sens pourrait être sauvegardé [?]). L’ensemble de ces modifications doit intéresser environ vingt-cinq mille [8] mots du texte Fischer qui, lui, doit être de soixante-dix-sept mille mots (c’est, en tout cas, le chiffre que je prends pour base). 100. La traduction française de Het Achterhuis peut, malgré l’absence d’une des cent soixante-neuf lettres de l’édition hollandaise Contact et malgré bien des faiblesses, malgré aussi des bizarreries qui donnent à penser que là encore il y aurait de fâcheuses découvertes à faire, se qualifier de «traduction». L’édition Lambert Schneider ne peut, en aucun cas, se présenter comme une traduction. Quant à l’édition Fischer, elle ne peut se dire une reproduction de l’édition Lambert Schneider, non plus qu’une traduction de Het Achterhuis. 101. Cet ensemble impressionnant d’additions, de soustractions, de translations, d’altérations, ces affabulations de M. Frank; ces malhonnêtetés d’éditeurs; ces interventions de personnes étrangères, amies de M. Frank; cette existence de deux livres si différents présentés comme un seul et même Journal d’Anne Frank, tout cela révèle une œuvre qui ne peut, en aucune façon, garder le prestige attaché à un témoignage authentique. Les incompatibilités des différents textes sont de toutes natures. Elles touchent à la langue et au style, à la longueur et à la forme des pièces constitutives du Journal, au nombre et à la nature des anecdotes rapportées, à la description des lieux, à la mention des réalités matérielles, aux dialogues, aux idées échangées, aux goûts exprimés, elles touchent aux personnalités mêmes des principaux personnages, à commencer par la personnalité d’Anne Frank, une personnalité qui donne l’impression de vivre dans un monde de pure fiction. 102. En se portant garant personnel de l’authenticité de cette œuvre, qui n’est qu’une affabulation, M. Frank, qui est, par ailleurs, manifestement intervenu à tous les stades de la genèse du livre, a signé ce qu’il est convenu d’appeler une supercherie littéraire. Le Journal d’Anne Frank est à ranger au rayon, déjà très fourni, des faux mémoires. Notre après-guerre a été fertile en ouvrages ou écrits de ce genre. Parmi ces ouvrages faux, apocryphes ou suspects (soit entièrement, soit par insertions d’éléments étrangers), on peut citer: les divers «témoignages» de Rudolf Höss, de Kurt Gerstein, de Miklos Nyiszli, d’Emmanuel Ringelblum, les mémoires d’Eva Braun, d’A. Eichmann, de W. Schellenberg, mais aussi le document intitulé: «Prière de Jean XXIII pour les juifs [9]». On citera surtout les faux journaux d’enfants fabriqués par l’Institut historique juif de Varsovie et dénoncés par l’historien français Michel Borwicz, d’origine juive polonaise; parmi ces journaux pourrait figurer celui d’une Thérèse Hescheles, âgée de treize ans [10]. 103. Je n’aurais garde d’oublier qu’un des faux les plus célèbres a été fabriqué contre les juifs. Il s’agit des «Protocoles des Sages de Sion». Je demande que l’on ne se méprenne pas sur le sens que j’ai donné à mes recherches sur l’authenticité du Journal d’Anne Frank. Même si ma conviction personnelle est que cette œuvre émane de M. Frank, même si je pense qu’à raison de deux lettres par jour, il lui a suffi de trois mois pour mettre sur pied le premier état de son affabulation maladroite, même si je pense qu’il ne croyait pas que son œuvre connaîtrait un immense succès (qui, du même coup, risquerait d’en faire apparaître les terribles failles), même si je pense qu’on peut donc lui trouver mille circonstances atténuantes, même si j’ai la conviction qu’il ne cherchait nullement à monter une vaste escroquerie, mais qu’il s’est trouvé comme entraîné par les circonstances à cautionner toutes les suites extraordinairement brillantes d’une obscure et banale entreprise, malgré tout cela, la vérité m’oblige à dire que le Journal d’Anne Frank n’est qu’une simple supercherie littéraire. 30 août 1978
Notes [1] Cas 2 JS 19/59, VU 10/59. [2] Ernst Schnabel, Anne Frank. Spur eines Kindes, Francfort, Fischer Bücherei, 1958, p. 115. [3] Ernst Schnabel, Anne Frank: A portrait in Courage, New York, Harcourt, Brace and World, 1958, p. 132. [4] Voy. Hamburger Abendblatt, 6 juin 1978, p. 13. [5] Volkskrant (Amsterdam), 21 novembre 1963. [6] 6 décembre 1963, p. 10. [7] Ernst Schnabel, Anne Frank. Spur eines Kindes, p. 39. [8] Cette estimation de 1978 n’a pas grand sens. Les manipulations sont à l’état endémique et en chiffrer le nombre est illusoire. (Note pour l’édition de 1980) [NdA]. [9] Voy. Ecrits révisionnistes (1974-1978) vol. III, p. 1161. [10] Michel Borwicz, «Journaux publiés à titre posthume», Revue d’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, janvier 1962, p. 93. Note des éditeurs (1980) Le rapport qu’on vient lire n’était pas destiné à la publication. Dans l’esprit du professeur Faurisson, il ne constituait qu’une pièce, parmi d’autres, d’un ouvrage qu’il entendait consacrer au Journal d’Anne Frank. Si nous le publions aujourd’hui, malgré les réticences de son auteur qui, pour sa part, aurait souhaité une publication plus étendue comprenant des éléments qui sont encore en chantier, c’est parce que la presse française et la presse étrangère ont mené tapage autour de l’opinion du professeur sur le Journal d’Anne Frank. Le public, lui, peut éprouver le besoin de juger sur pièces. Nous avons donc voulu mettre l’essentiel de ces pièces à sa disposition. On se fera ainsi sa propre religion sur les méthodes de travail de Faurisson et sur les résultats auxquels celui-ci était parvenu en août 1978. Ce rapport, dans la forme exacte (*) sous laquelle nous le publions, a déjà une existence officielle. C’est en août 1978 qu’il a été transmis, dans sa version allemande, à l’avocat Jürgen Rieger pour être déposé auprès d’un tribunal de Hambourg. Maître Rieger était et reste encore aujourd’hui le défenseur d’Ernst Römer, soumis à un procès pour avoir publiquement exprimé ses doutes sur l’authenticité du Journal. Le tribunal, après avoir entendu les parties et commencé d’examiner le fond du litige, décidait, à la surprise générale, d’ajourner sine die toute nouvelle session. Selon le scénario habituel, dès l’ouverture du procès, la presse dictait au tribunal la conduite à tenir. Le S.P.D. du chancelier Helmut Schmidt montait en première ligne et dans une longue lettre ouverte prenait vigoureusement position en faveur de M. Frank. Pour ce parti politique, la cause était jugée d’avance, et il y avait longtemps que l’authenticité du Journal avait été prouvée. Le tribunal en question, en dépit des efforts de maître Rieger pour relancer le procès, n’a toujours pas rendu son arrêt. La presse allemande déplore que M. Otto Frank ait encore à attendre que «justice lui soit rendue». Encore ce refus de juger constitue-t-il un progrès. Dans une affaire similaire, le professeur Faurisson avait adressé un rapport de cinq pages résumant ses recherches et ses conclusions sur les «chambres à gaz». Cette déclaration était signée, et la signature légalisée. Le professeur était allé jusqu’à rappeler le texte du Journal officiel de la République française établissant qu’une légalisation de signature en France était valide en R.F.A. Peine perdue : dans les attendus de condamnation, la Cour décrétait que «Faurisson» n’était qu’un pseudonyme. Elle récusait pour le même motif le témoignage du professeur américain Arthur R. Butz. La justice est égale pour tous, sous réserve de l’exceptio diabolica. (*) Note de l’auteur (16 mai 2010): A une exception près. Le rapport original comportait une annexe n° 3 qui consistait en une attestation d’un professeur d’université, Michel Le Guern, réputé pour sa compétence en matière de critique de textes. La dernière phrase de l’attestation était la suivante: «Il est certain que les usages de la communication littéraire autorisent M. Frank, ou n’importe qui, à construire autant de personnages fictionnels d’Anne Frank qu’il en aurait envie, mais à la condition qu’il ne prétende pas à l’identité de ces êtres de fiction avec le personnage de sa fille.» Chaque page de mon rapport comportait la signature ou le paraphe de M. Le Guern. Deux autres professeurs, Frédéric Deloffre et Jacques Rougeot, s’apprêtaient à conclure dans le même sens quand soudain éclatait dans la presse, en novembre 1978, l’ «affaire Faurisson». Rendus prudents, ces professeurs préféraient s’abstenir. Pour plus de détails on se reportera, ci-dessous, au post-scriptum daté du 1er avril 2003. Ce rapport, expressément destiné à un tribunal, s’accompagnait de trois annexes. La première comportait quatorze documents photographiques [ci-dessous reproduits à la suite des 103 sections de mon analyse]. La deuxième contenait, sous pli fermé, l’identité du témoin de l’affaire Karl Silberbauer (section 68 du rapport) et l’identité de mon accompagnateur; je suis en mesure de révéler aujourd’hui que le témoin était la veuve de K. Silberbauer et que mon accompagnateur était Ernst Wilmersdorf, tous deux de Vienne (Autriche). [R. Faurisson,
Écrits
révisionnistes, tome I, 1974-1983]
Aux pages 117-119 de l’édition du R.I.O.D., David Barnouw émet la prétention de résumer ce qu’il veut bien appeler mon expertise. Il le fait non sans insinuer que je suis un tricheur. De tous mes arguments d’ordre matériel ou physique, il n’en retient qu’un seul, celui des bruits intempestifs. Puis, de tous ces bruits, il n’en retient que trois. Il prétend que, dans les trois cas, j’ai caché qu’A. Frank avait précisé que, les «ennemis» n’étant pas là, ces bruits ne risquaient pas d’être entendus. Ma réponse est que les «ennemis» proches (par exemple, les deux employés du magasin) n’étaient peut-être pas là mais les autres «ennemis», en nombre indéfini, pouvaient percevoir ces bruits: ceux de l’aspirateur, chaque jour à 12h30, ainsi que les «éclats de rire interminables» ou encore «un fracas de jugement dernier». D. Barnouw éprouve la plus grande peine à nous expliquer ces bruits, et une quantité d’autres bruits, parfois effroyables, dans une habitation où aurait dû régner le silence de la tombe. Aussi, pour s’épargner tout effort, a-t-il cherché un subterfuge dans des considérations aussi vagues que ténébreuses. Il écrit en effet: Le journal nous apprend que les
habitants de l’annexe, eux aussi, couraient de nombreux
risques, en particulier celui d’être entendus par
d’autres s’ils faisaient trop de bruit. Cependant
Faurisson n’a pas cherché à mieux comprendre la
situation générale de clandestinité en tant
que telle et, dans ce contexte, ne s’est nullement
soucié du fait que la famille Frank et ses compagnons de
clandestinité avaient fini par se faire arrêter
(p. 117).
D. Barnouw donne là dans un pathos qui lui permet de conclure effrontément: «Il n’est pas nécessaire, compte tenu de ce qui précède, de soumettre à un examen critique chacun des points mentionnés par Faurisson» (p. 118). Pour ma part, j’estime que cette dernière remarque prouve bien que les responsables du R.I.O.D. n’ont, de leur propre aveu, pas voulu «soumettre à un examen critique» une partie essentielle de mon expertise, celle concernant les impossibilités physiques ou matérielles du récit. Il est un autre point où D. Barnouw insinue que je suis malhonnête. A la page 261 du livre de Serge Thion, j’avais dit avoir découvert, lors de mon enquête sur les circonstances de l’arrestation des huit clandestins le 4 août 1944 à Amsterdam, un témoin particulièrement intéressant. J’écrivais: Ce témoin [en 1978]
nous a adjurés, mon accompagnateur et moi-même, de ne
pas divulguer son nom. J’ai promis de taire son nom. Je ne
tiendrai ma promesse qu’à demi. L’importance de
son témoignage est telle qu’il me paraît
impossible de le passer sous silence. Le nom de ce témoin et
son adresse ainsi que le nom de mon accompagnateur et son adresse
sont notés sous pli cacheté contenu dans mon annexe
n° 2: «Confidentiel» [à remettre au tribunal
de Hambourg].
D. Barnouw commence par citer ces lignes non sans supprimer la phrase qui révélait le motif de ma discrétion: le témoin nous avait «adjurés» – tel était le mot – de ne pas le nommer. Puis, le même D. Barnouw ajoute perfidement: Une photo de cette enveloppe
cachetée est reproduite en annexe de l’enquête
de Faurisson dans la version française de 1980 [celle
du livre de S. Thion]; l’éditeur de la version
néerlandaise a judicieusement renoncé à
produire cette pièce à conviction
(p. 119).
En d’autres termes, je me serais joué du lecteur auquel j’aurais, par cette prétendue ruse, laissé croire que mon enveloppe ne contenait en réalité aucun nom. Pour D. Barnouw, ou bien cette enveloppe n’avait jamais existé, ou bien elle était vide. La vérité était que j’avais bel et bien remis au tribunal de Hambourg une enveloppe contenant les noms et adresses de mon témoin et de mon accompagnateur. Aujourd’hui, à 22 ans de distance, je me crois autorisé à divulguer ces noms, connus du tribunal: il s’agissait de la veuve de Karl Silberbauer et d’Ernst Wilmersdorf, tous deux habitant Vienne. Je saisis l’occasion de cette mise au point pour révéler aussi les noms des trois universitaires français dont il est dit à la page 299 du livre de S. Thion qu’ils approuvaient mon analyse du prétendu journal d’Anne Frank. Le premier n’était autre que Michel Le Guern, qui enseignait alors à l’Université Lyon-2 et qui vient de publier dans la prestigieuse «Bibliothèque de la Pléiade» une édition savante des Pensées de Pascal; on ne saurait imaginer plus haute compétence en matière de critique de texte. Dans la dernière phrase de son attestation, il écrivait en 1978: Il est certain que les usages de la
communication littéraire autorisent M. Frank, ou
n’importe qui, à construire autant de personnages
fictionnels d’Anne Frank qu’il en aurait envie, mais
à la condition qu’il ne prétende pas à
l’identité de ces êtres de fiction avec le
personnage de sa fille.
Deux autres universitaires s’apprêtaient à conclure dans le même sens quand soudain éclatait dans la presse, en novembre 1978, l’«affaire Faurisson». Il s’agissait de deux professeurs de la Sorbonne-Paris IV: Frédéric Deloffre et Jacques Rougeot. Ces trois universitaires sont aujourd’hui à la retraite. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de révéler leur nom. Je n’avais, d’ailleurs, pris à leur endroit aucun engagement de discrétion. |